Le Numismate Charles Desains (1789 - 1862)

Lecteur, autrefois j'ai connu
Un vieil amateur de médailles,
Qui, livré tout entier au goût des antiquailles,
Ne m'a jamais entretenu
Que du coin, du revers de ses riches trouvailles.
C'était Galba, Néron, ou César, ou Gordien,
Qu'avec ses yeux dé lynx, disons mieux, d'antiquaire,
Il découvrait, pour l'ordinaire,
Sur le métal poudreux où l'on ne voyait rien.
Il avait ce travers : tout mortel a le sien ;
Et ce travers, auquel maint sage s'abandonne,
Ne cause de mal à personne,
Et lui faisait beaucoup de bien.
Car s'il souffrait des maux dont ce monde fourmille,
Soit revers de fortune ou peine de famille.
Courant au médailler, il laissait ses chagrins
Dans le tiroir des Francs, des Grecs ou des Romains.
Un jour il vint me voir, il était dans la joie
D'avoir pu s'enrichir d'une nouvelle proie,
Bronze d'un type rare, et dont le vert-de-gris
Venait encor doubler le prix,
Lui donnant un aspect à peu près authentique.
Mon homme ne vit pas, tant il était épris !
Que ce trésor numismatique
Était une contrefaçon.
Aux yeux de ce brave garçon,
Je voulais démasquer la trompeuse monnaie,
Mais de la pièce fausse avant de l'occuper,
Je me dis : Si tu n'as à lui donner la vraie,
A quoi sert de le détromper ?
L'illusion souvent fait bien de nous séduire ;
Par elle à cent plaisirs on se laisse conduire.
Ainsi, quand tu sauras qu'une innocente erreur
Ici-bas à quelqu'un peut donner le bonheur,
Garde-toi bien de la détruire !

Livre II, fable 24




Commentaires