Le Poulet et la Souris Charles Desains (1789 - 1862)

Nous voyons peu les grands devenir lés amis
Des petits.
Cependant un Poulet de très haute naissance,
D'une simple Souris avait fait connaissance ;
Aux lois de l'amitié tous d'eux s'étaient soumis.
Sans compter pour rien la distance.
L'autre jour, la Souris cherchait dans Je verger
Le gracieux Poulet choisi par sa tendresse ;
Ah ! te voilà, dit-elle avec tristesse,
J'accours, mon cher ami, t'apprendre le danger
Dont nous menace un complot qui se trame.
Le maître du logis vient de dire à sa femme
Qu'aujourd'hui même il veut donner un grand repas.
La broche va choisir le Poulet le plus gras,
Le curé dîne ici. Je tremble pour ta vie ;.
Fuyons, crois-en la voix d'une sincère amie.
Fuyons, dit le Poulet, car j'allais t'avertir
D'un péril que je viens aussi de découvrir ;
Je n'en ai pas dormi toute la nuit dernière ;
On en veut à tes jours ! L'honnête cuisinière,
Qui nourrit son amant aux frais de la maison,
Prétend, pour échapper à tout fâcheux soupçon,
Que ce sont les Souris qui pillent dans l'armoire
Tout ce que le galant use à manger et boire,
Et deux Matous ici vont tenir garnison !
Tu vois s'il faut bénir la double découverte
Sans laquelle en ce jour nous trouvions notre perte.
Éloignons-nous d'ici, le temps est précieux ;
Quittons ce toit fatal y où nous tremblons sans cesse,
Pour gagner au plus tôt quelques sauvages lieux,
Où jamais nul Matou ni gourmet ne paraisse,
Où nous trouvions la vie exempte de terreurs ;
Viens, aimons-nous toujours, et vivent les bons cœurs !

C'étaient là des amis ! Jamais la négligence
Ne venait refroidir leur bonne intelligence.
Tous les deux animés des plus doux sentiments,
Ils embellissaient leurs moments
Des soins d'une amitié fidèle.
Imitons-les, ne soyons pas légers.
Sur la nef de la vie obligeants passagers,
Montrons pour nos amis bonté toujours nouvelle ;
Savons-nous si la mort, à la faux si cruelle,
Nous laissera longtemps le bonheur de les voir ?
Si l'un d'eux périssait, quel affreux désespoir,
De se dire : H est mort bien malheureux, peut-être,
Je ne l'ai, pas aidé comme il aurait pu l'être ;
Hélas ! il est trop tard, celui qui m'est si cher,
Qui, j'en suis sûr, encor hier
Aurait mis son bonheur à me voir, à m'entendre,
Je le perds aujourd'hui, rien ne peut me le rendre,
Ni le regret le plus amer,
Ni le souvenir le plus tendre.

Livre II, fable 23




Commentaires