Le Mât de Cocagne Antoine Le Bailly (1756 - 1832)

Après de sanglantes batailles
Et de plus glorieux succès,
Un peuple, au sein de ses murailles,
Célébrait une fête en l'honneur de la paix.
De la paix ! quels transports un nom si doux inspire !
Mais comment pouvair les décrire ?
Là s'offrent aux regards enchantés et surpris
Cent rivaux tout couverts d'une noble poussière ;
Ils se sont élancés dans la même carrière,
Et de la course entre eux se disputent le prix.
Ici, sur la corde tendue,
Partageant l'empire des airs
Avec l'oiseau qui fend la nue,
Un adroit voltigeur fait mille tours divers.
Plus loin, les yeux fixés sur des verres d'optique,
Un groupe d'enfants ébahis
Écoute un Auvergnat, la perle du pays,
Qui, dans sa lanterne magique,
Leur fait voir le soleil, la lune, et cætera,
Ni plus ni moins qu'à l'Opéra.
Mais de quels cris a retenti la plaine ?
Qui fait rire aux éclats ce cercle observateur ?
C'est un jeune homme essoufflé, hors d'haleine,
Qui, d'un Mat de Cocagne affrontant la hauteur,
Et jetant sur sa proie un œil de convoitise,
Se voit forcé de lacher prise.
Plus souple, plus nerveux, un nouveau concurrent
Ason tour vient prendre la place.
D'un regard fier il mesure l'espace.
Collé contre le Mât, qu'il serre étroitement,
Il l'escalade avec audace.
Le voilà presque au faîte arrivé lestement.
Là brille une couronne au verdoyant feuillage,
D'où pendent vingt riches bijoux.
Le plus beau devient son partage ;
Mais c'est trop peu d'un seul, il veut les ravir tous.
Ainsi, poursuivant sa conquête,
Il amasse tant de butin,
Que le meilleur des lots échappe de sa main.
Il cherche à le reprendre : ô malheureux destin !
En perdant l'équilibre il a perdu la tête,
Et, du haut en bas renversé,
Il tombe au pied du Mát, le corps tout fracassé.

Un grand homme l'a dit (quel sens dans cet adage !) :
La modération est le trésor du sage.

Livre V, fable 3




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