Le petit Ramoneur et son Singe Pierre Chevallier (1794 - 1892)

Après avoir de la Savaie
Suivi jusqu'à Paris la sinueuse voie,
Un petit ramoneur par la ville faisait
Entendre son long cri qu'en vain il répétait.
Sa voix, que dominait la voix assourdissante
De cent industriels, se perdait impuissante.
Son singe, rusé sapajou,
En vain aussi faisait ses plus belles grimaces,
Exécutait ses tours sur les publiques places,
Nul ne donnait le moindre sou.
Cédant à la faim qui le presse,
Mon pauvre ramoneur appelle à lui la mort,
Met son singe en sa boite et tombant de faiblesse
Auprès d'une borne s'endort.
— Mon maitre a-t-il perdu la tête ?
Dit, en sortant de son étroit réduit,
Non sans efforts, la grimacière bote ;
Me coucher sans souper, sans cause, avant la nuit,
Annonce qu'il est en démence ;
Sachons sans lui pourvoir à notre subsistance,
Et pour cela faisons valoir tous nos talents.
Tout d'abord il s'approche en face
Du dormeur et lui fait sa plus laide grimace.
Se rappelant alors son bon, son jeune temps
Passé chez un frater, de bien en ère mémoire,
Qui lui montra son art, à ce que dit l'histoire,
Il lui met doucement son mouchoir sous le cou,
Prend d'un adroit barbier la pose, la souplesse,
Sur le sol ramasse un caillou,
Puis d'une main légère, avec délicatesse,
Lui frotte, à défaut de savon,
A droite, à gauche, le menton.
Cela fait, de sa poche aussitôt il retire
Sa petite batte de bois ;
Sur sa patte avec soin la repasse à deux fois,
Et d'un air sérieux, sans le moindre sourire,
Fait la barbe à notre dormeur.
L'aspect de ce plaisant farceur
Attire une foule innombrable.
Chacun veut le voir, l'admirer.
Mon animal saisit le moment favorable,
Du chef de son patron va vite retirer
Le chapeau, le présente en forme de requête
Et fait en un instant une superbe quête.

Savoir lutter contre le sort
Est la marque d'un esprit fort.
S'il arrivait un jour que quelque pauvre diable
Fût détourné par cette Fable
De s'envoyer au séjour ténébreux,
Je m'estimerai trop heureux.

Livre III, fable 12




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