Placés de distance en distance,
Au bout d'une forêt, l'arme en main, des chasseurs
Gardaient le plus profond silence,
Tandis qu'à l'autre bout de turbulents traqueurs
Faisaient entendre au loin un infernal tapage.
Sommeillant sous le vert feuillage
Aussitôt lièvre ?, loups, renards et sangliers
Se lèvent à la hâte, abandonnent leur gîte
Et vont se réfugier bien vite
Au milieu de sombres halliers.
Un renard des plus fins au centre d'eux se place
Et leur parle en ces mots : — Cessez, mes chers amis,
De craindre les dangers que semble offrir l'impasse
Où nous tiennent bloqués nos cruels ennemis.
Dans une semblable occurrence
(J'étais fort jeune alors), je me suis déjà vu.
Mon grand-père, renard de grande expérience,
Qui de ruses jamais ne fut au dépourvu,
Par un expédient sut nous tirer d'affaire.
Je connais ce moyen, et si chacun de vous
Veut suivre mes conseils et faire
Ce que je prescrirai, je vous sauverai tous.
Avec empressement l'offre étant acceptée,
— Il faut, reprend notre renard,
Que, sans le plus léger retard,
La forêt soit par vous en tous sens visitée ;
Mais, marchez prudemment, observez, retenez,
Et très promptement revenez
Me dire en ce hallier, où je vais vous attendre,
Ce" que vous aurez vu : sur quoi j'aviserai,
Puis, avec certitude, alors j'indiquerai
Le chemin que, pour fuir, il nous faudra tous prendre.
Calamiteux effet des paniques terreurs !
Tous refusent d'aller du côté des clameurs,
Et sans la moindre défiance
Se dirigent vers les chasseurs.
Mon renard sans bouger se tenait en silence,
Recommandait son àme à la divinité,
Quand éclate soudain de ce dernier côté
Une terrible fusillade.
— J'en connais, se dit-il, bien assez maintenant ;
Et sans attendre un seul instant,
Du côté des traqueurs, sans nul danger s'évade.

Redoutons moins celui dont la criarde voix
Nous déclare une guerre ouverte,
Que ce silencieux sournois
Qui, dans l'ombre, médite et jure notre perte.

Livre III, fable 11




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