Le Papillon, l'Abeille et l'Absinthe Pierre Duputel (1775 - 1851)

Dans le coin d'un jardin où, sans soins et sans art,
Plusieurs plantes croissaient, loin des regards de Flore,
Sur l'amère absinthe, à l'écart,
Certaine abeille, un jour, au lever de l'aurore,
S'occupait à puiser son précieux nectar.
Un papillon, qui dans le voisinage,
Sans but déterminé, voltigeait par hasard,
L'apercevant, lui tint à peu près ce langage.
« Qui s'en serait jamais douté ?
Quoi, l'absinthe reçoit aujourd'hui votre hommage !
Vous êtes folle, en vérité !
Aux filles du printemps n'est- ce pas faire injure ?
N'est- ce pas même outrager la nature
Qui leur dispense la beauté,
Que de les négliger pour cette plante obscure ?
Je sais qu'il ne faut point disputer sur les goûts :
Mais le vôtre a lieu de surprendre,
Et d'honneur, je ne puis comprendre
Quels charmes si puissants l'amertume a pour vous. »
Apprenez, raisonneur futile,
Lui répondit l'abeille, à me connaître mieux.
Fuyant d'un vain éclat les dehors spécieux,
Je ne recherche que l'utile ;
Et, sous ce rapport précieux,
L'absinthe qui vous semble, en ce moment, si vile,
Aux plus belles fleurs, à mes yeux
Est certainement préférable ;
Car de ses sucs amers mon zèle industrieux
Compose tous les jours un miel incomparable.
Mais c'est trop babiller..... Adieu, mon bel ami,
Retenez bien, sur-tout, que rien n'est méprisable
Quand on sait en tirer parti. »

Fable 17




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