Le Nid de l'Hirondelle Pierre-Edouard Lemontey (1762 - 1852)

« Voici le temps de la nichée,
Dit une hirondelle à sa sœur ;
As—tu choisi la retraite cachée
Où tu déposeras le trésor de ton cœur?—
Je n’ai point oublié, répond l’autre hirondelle,
Que le printemps dernier une tuile m’offrit
L’asile où prospéra ma famille nouvelle. —
Fi donc! réplique l’autre, un nid
Sur un toit, en plein air ! de la pauvre nature
C’est la grossière architecture.
J’imagine un peu mieux. Vois là haut ce rempart
D’où l’œil au loin des mers embrasse l’étendue ;
Autour sont rangés avec art.
De gros tubes d’airain qui brillent à la vue,
Et pour nous bien loger semblent faits tout exprès.
C’est un abri profond, solide, magnifique,
Où la foudre en tombant verrait briser ses traits,
Et qu’une mère enfin , s’il faut que je m’explique,
Doit préférer à l’asile mesquin
Que t’offre une méchante brique.
Imite — moi, j’y vais nicher demain. »
La sœur répond : « Je n’en ai point envie ;
Quitter le gîte où je vécus en paix
Serait ingratitude, et peut-être folie.
On peut se repentir d’habiter un palais.
Enfin pour moi j’aurai l’expérience,
Et la sécurité que donne l’innocence. »
Suivant l’usage, en son opinion
Chaque femelle tint bon ,
Et se mit à bâtir le berceau de sa race ,
L’une au faîte d’un toit, l’autre dans un canon,
La couvée alla bien dans l’une et l’autre place ,
Et des petits un duvet noir et blanc
Commençait à vêtir les formes délicates,
Quand un matin sur l’Océan
On vit approcher deux pirates.
Grand bruit au fort; le tambour bat ;
A ses bronzes court le soldat
Portant la mèche en spirale allongée.
O cruelle trahison !
Chaque pièce d’avance était toujours chargée.
Soldat ! arrête, en ce canon
Une tendre mère est logée….
Le barbare ne m’entend pas…
Dieux!… c’en est l’ait… la flamme brille,
Et le salpêtre avec fracas
A brisé dans les airs l’imprudente famille.
L’autre sœur vit de leurs débris
Son humble tuile couverte,
Et répéta souvent à ses petits :
« Qui se fie à la force y trouvera sa perte. »

Fable 13




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