Ami plus intime du prince,
Voulant se délasser de labeurs trop constants,
Certain homme d'Etat au fond de sa province
Vint chercher le repos des champs.
Il comptait y passer les jours caniculaires
Dans l'entier oubli des grandeurs
Et, sous l'opacité des chênes séculaires,
Mettre trêve aux soucis rongeurs
De tout homme d’Etat trop nombreux tributaires.
En homme des champs transformé,
Prenant pour parangon homme juste d’Horace ,
Dans sa fraiche villa notre sire enfermé
Du sort défiait la disgrace.
Pour ce coeur presque Cétiolé
Le doux chant de Bulbul, des eaux le doux marmure,
Les fleurs et leur parfum, lés bois et leur verdure,
C’est tout un monde révélé,
Monde d’émotions nouvelles,
Monde de pure volupté,
Ou l'âme en pleine liberté
Déploie avec bonheur ses ailes.
Chassez le naturel, il revient au galop,
A dit quelque part un poète ;
Pour vérité je tiens ce mot ;
La preuve en sera bientôt faite.
Le premier mois et peine avait fini son cours
Que tout change et se modifie ;
La riante nature au mirage des cours
De nouveau s'est évanouie ;
D’abord l'homme d'Etat éprouve quelque ennui :
Puis le vide bientôt se fait autour de lui;
Ses pensers vont a la dérive
Loin des champs; au Louvre un mouvement déclive
Les entraine insensiblement.
« Ne suis-je pas, dit-il, le Pylade du prince ?
Certes, je ne crains pas qu’un concurrent m’évince
Notre amitié vieillie est scellée au ciment.
Mais plus nos cœurs ont d’adhérence,
Plus au roi je dois mon appui ;
J'ai déjà pris trop de licence,
Levons l’ancre dés aujourd'hui. »
Il disait : un courrier au détour d'une allée
Se montre; il est porteur d'un message atterrant ;
Vile esclave du peuple une lâche assemblée,
Sans honte cédant au courant,
Du prince a brisé la couronne.
Notre héros de l’amitié,
Comme à l'aspect d'une Gorgone
Semble d'abord pétrifié ;
Puis, ainsi qu'une fleur fait après la tempête,
Lentement relevant sa tète
Qui sur la poitrine penchait ,
Il dirige un regard distrait
Sur le disque d'un Hélianthe.
— « Mon devoir m'est tracé, dit-il, par cette plante;
A ma belle patrie avant tout je me dois ;
Le pouvoir voila la patrie !
Du fond du ceur je plains le roi;
Mais thomme d'Etat sacrifie
Ses affections au devoir ;
L’Hélianthe au soleil converge ,
Je dois converger au pouvoir ;
Le prince est submergé ; mais le pouvoir submerge. »

C'est toujours ainsi dans les cours,
On dit aimer le prince, on se fait homme-lige ;
Mais comme un tournesol, se mouvant sur sa tige,
Suit le soleil, on suit le pouvoir en son cours.
Les reins du courtisan furent toujours flexibles ,
Ils le sont et seront toujours :
Le pouvoir, vrai soleil, pour eux dans son détours
A des effets irrésistibles.

Livre I, fable 8


Alger, Juin 1853.

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