En appliquant la règle en son sens littéral ,
Souvent à l’absurde on s’expose ;
A toute règle il faut sa glose
Tempérant ce qu'elle a de par trop radical;
Sagesse mêmement commande
Que suivant les cas on l'amende.
Au joyeux curé de Meudon
J’emprunte une vieille légende
Plaisant thème pour ma leçon.

Certain receveur de gabelles
Se présente au bord d'un torrent;
Pour passer au-delà son embarras est grand;
Point if fie sait Hager et point il n’avait d'ailes;
Survient Moine au large poitrail
Et doué d’échine semblable ,
Qui, jetant bas froc et camail ,
Compte se rendre ainsi l'autre rive abordable.
— « Frère! » dit-il au Moine; » ensemble passons bail;
Sur votre dos daignez me prendre ;
Je promets en retour froc neuf en drap de Flandre ,
Froc, capuche et tout l'attirail. »
A vos désirs je dois me rendre, »
Répond le Moine au publicain ;
Le divin maitre nous ordonne
De venir en aide au prochain
Sans acception de personne. »
Il dit et sur son dos il prend le financier,
Gagne au large et soudain s'arrête
Au beau milieu du fleuve et, retournant la tète :
— « J'ai crainte de me fourvoyer ;
Excusez-moi, » dit le saint homme;
Mais je voudrais savoir s'il est d’or ou d'argent
En votre sac certaine somme. »
— En douter serait outrageant, »
Reprend le Maltotier ; « grâce a Dieu j'ai chevance
» D’écus tous marqués au bon coin ;
» D’avoir souci du froc, bon père, il n’est besoin. »
— « Le froc m’occupe peu, mais cas de conscience ;
Par chapitre formel la règle fait défense
D'avoir sur nous même un denier. »
Et ce, disant, pour épilogue,
En pleine eau notre Cordelier
Jette à même le Maltotier.
Que conclure de l'apologue ?
Qu'il faut vivifier la lettre par l'esprit
Et que règle absolue à l'absurde aboutit,

Livre II, fable 2


Alger, 18 Juillet 1853

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