A coups de langue un méchant tue ;
C'est, hélas! chose fort connue ;
Mais il n’est seul a faire usage d'un tel dard ;
Par malencontre il est une engeance honnie,
Sotte engeance du babillard,
Qui va contant à l’étourdie
Tout ce qu'il sait et point ne sait
Et, sans même qu'il en ait mine,
Sans se douter du mal qu'il fait,
Bénignement vous assassine.
Babillards ! ma fable est pour vous.
Un Aigle tenait cour pléniére ;
Des courtisans la fourmilière
Fut grande au royal rendez-vous ;
C'est toujours ainsi chez les princes,
Qu'ils soient Caligula, Trajan, Aigle ou Lion.
Nul n’y manqua ; toutes provinces
Eurent leur contingent auprès du Pharaon.
Une Pie y faisait l'office
D'introductrice ,
Babillant, jasant, caquetant,
Véritable tète a l'évent ,
Sur chacun ayant mot a dire.
Un nouveau venu survient : — « Sire!
A votre Majesté je présente un Moqueur, »
Dit-elle ; » ce gai visiteur
Sans doute aura l'heur de vous plaire :
Il a le don de contrefaire,
A s'y tromper chacun de nous;
Hier avec un talent extrême
Il vous a contrefait vous-même ;
C’était a le prendre pour vous. »
L'insolent! » cria l'Aigle en colère ,
Sans respect pour ma Majesté
Oser !..... telle témérité
Mérite un supplice exemplaire. »
Par Jupin! j'aurai fait erreur
» Et que Jupin le garde! »
Reprit la sotte babillarde ,
Tremblante et confuse en son cœur
De ses paroles trop légères.
Mais sans fruit fut son repentir;
L’Aigle bel et bien sous ses serres
Fit du pauvre mime un martyr.

Un mot lancé ne peut plus revenir.

Livre II, fable 4


Alger, 8 Aout 1853.

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