Ne convoiter choses incertaines
Si tu t’arrestes à une umbre,
Délaissant la chose certaine,
Ton espérance sera vaine,
Et en souffriras grief encombre.
Ung Chien portoit une pièce de chair
Dedans sa gueule, et se print à marcher
Sur une planche en passant la riviere,
Et le soleil, par sa claire lumiere,
Faisoit de luy et de la chair aussi
Ung umbre en l’eaue. Or advint il, ainsy
Qu’il passoit l’eaue, icelle umbre advisa,
Laquelle alors plus que la chair prisa,
Car il la laisse et à l’umbre se prend ;
Mais il n’advient ce que fol entreprend,
Riens il ne treuve et deceu se voit estre :
Doncq à l’abboy il donna à cognoistre
Qu’il esleut mal : « Ha ! pauvre miserable,
Ce crioit-il, ton chois n’est pas valable ;
Tant as esté de ton bon sens loingtain,
Que l’incertain as prins pour le certain. »
Nous cognoissons doncques, par celluy Chien
Laissant le bien et s’arrestant à rien,
Que nous devons sy saigement choisir
Qu’au chois n’ayons ne mal ne desplaisir :
Car nous voyons que ceulx là qui s’arrestent
Aux biens d’aultruy, et sans fin les convoittent,
Ce temps pendant perdent le leur entier :
C’est le loïer dyung qui faict tel mestier.
Titre original : Du Chien et de la pièce de Chair