Deux amis pour un chat eurent maille a partir
Et tant rude fut la bataille
Que leur vieille amitié faillit même périr
Sous les coups d'estoc et de taille.
Quoi ! pour un Chat? Oui ! pour un Chat vraiment ?
Passionnés ou pour ou contre,
L’un en fait presque un Dieu; l'autre en trois points démontre
Qu’un Chat n’est bel et bien qu'un démon malfaisant.
— « Je ne sais pas d'animal plus charmant,
Disait l'un; » sa grâce est divine ;
Rien n’est plus doux que son hermine ;
Il est mignon, délicat, caressant
Et honni soit qui le dénigre !
— Il est de la race du tigre,
Reprenait l'autre avec aigreur ;
Il est traitre autant que voleur;
Méchanceté, paresse et gourmandise
Sont encor ses moindres défauts ;
Je tiens pour maudit qui le prise ! »
Nos deux amis sur ces propos
Se tournèrent le dos.
L’un, en rentrant dans ses pénates,
Trouve, hélas ! sa perruche expirant sous les pattes
De son chat ;
L'autre, savant bibliomane,
D'un antique Elzévir trouve, hélas! la basane
A demi rongé par un rat.
Un esprit prévenu fait un fort mauvais juge ;
Il prise tout ou trop bas ou trop haut.
C'est au superlatif que toujours il adjuge
Soit vertu, soit défaut.
Yeux de lynx, yeux de taupe
Sont à la fois les yeux de la prévention.
Elle fait à l'occasion
Un hyssope d'un cèdre, un cèdre d'un hyssope.

Livre IV, fable 2


Alger, 7 Décembre 1853.

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