« Pauvre Fourmi que je te plains !
Pour avoir l'hiver quelques grains,
Insuffisante nourriture,
A ce que je pense du moins,
Tu travailles outre mesure,
Et tout le temps que l'été dure.
Pourquoi tant de peines, de soins ? »
Disait un Mulot ; - Ma commère !
Je pâlirais souvent, moi, s'il me fallait faire
A ce prix mes provisions ;
Mais je trouve toujours à ronger sous la terre
Les racines des blés, des plantes les oignons
Et d'appétissants tubercules :
Tout m'est bon ! Sans compter les mets,
Je mange et deviens gras — Toi, sotte ! tu calcules
Les grains qu'en réserve tu mets. »
Oui, répond la Fourmi ; quand j'ai le nécessaire
Du superflu je n'ai que faire
A quoi bon gaspiller un énorme butin.
Je n'accapare point et ce que je respecte
Suffit à plus d'un autre insecte
Qui, sans cela, pourrait crever de faim.
Tu me vantes ton sort. Je bénis mon destin ;
Au tien je le crois préférable :
Tu dois trembler comme un coupable ;
Tu nuis à l'homme et l'homme est fin :
Des chemins souterrains lui cachent les rapines ;
Mais quand il voit ses graines, ses racines
Infécondes au temps où des germes nouveaux
Doivent faire espérer un fruit à ses travaux,
Ce n'est qu'à toi qu'il attribue
Ce ruineux dégât, et, pour se préserver
Du tort qu'à l'avenir il pourrait éprouver,
Des pièges sont tendus s'il ne t'a pu trouver,
Et s'il te découvre il te tue,
Ai-je à craindre cela ? Non. Loin de me sauver
Sitôt que je vois apparaître
L'homme, cet animal appelé notre maître,
Tranquillement j'achève mon travail
Et sans en négliger le plus petit détail.
Les ténèbres à toi !… Sans peur verrais-tu luire
L'astre dont chaque aurore annonce le retour ?
Qui ne fait aucun mal ne craint pas le grand jour :
On ne se cache que pour nuire. »