A son décès, un vieux mulot
Laissa pour ses deux fils un petit héritage ;
Ces messieurs, au plus vite, ouvrirent leur partage ;
Ils tombèrent d'accord, et chacun prit son lot.
Voilà nos mulots en ménage.
Ainsi que le défunt, l'aîné géra son bien ;
Il travailla beaucoup et ne l'augmenta guère :
Mais, pauvre, il fut heureux sans se reprocher rien.
Le plus jeune suivit un système contraire ;
De faire sa fortune il trouva le moyen.
Je ne veux pas, dit-il, en parlant de son frère,
Vivre comme ce pauvre hère.
Or donc, réfléchissons : malgré tous les revers,
J'ai là de quoi passer pour le moins trois hivers.
Je sais que la fourmi, ma plus proche voisine,
Déjà partout s'en va criant famine ;
Sachons donc profiter de sa position ;
Prêtons-lui de mon blé, mais à condition
Qu'elle en rendra double mesure.
Traitons de la même façon
Cette jeune souris, ce pauvre limaçon,
Et tant d'autres encor ; enfin, faisons l'usure.
Ce qu'il dit, il le fit. Il prêta tant et tant,
Au taux le plus exorbitant,
Que de ses débiteurs la profonde indigence
Le mit bientôt au sein de l'abondance.
Aussi disait-il bien : J'ai de tout à foison ;
Et de fruits et de grains regorge ma maison.
Il n'est point de mulot dans toute la contrée
Aussi riche que moi, la chose est assurée ;
Et je puis désormais trancher du grand seigneur.
Un vieux grillon lui dit : Tais-toi, vil discoureur ;
Tant de cynisme m'importune ;
Ne t'enorgueillis point de ta grande fortune,
Car, infâme usurier, chacun sait aujourd'hui
Qu'elle eut pour fondement la ruine d'autrui.