L'Accapareur et le Charançon Jean-Auguste Boyer-Nioche (19è siècle)

Qui t'amène en ces lieux, insecte parasite,
Avec ta famille maudite ?
J'avais, en ces greniers, fait mettre en beau froment
De quoi nourrir un mois un arrondissement ;
Je gagnais cent pour cent au moins sur ma denrée ;
Par elle je voyais ma fortune assurée.
Mais depuis que sorti de ton obscur réduit,
Au milieu de mes blés le diable t'a conduit,
De mes vastes projets s'écroule l'édifice,
Et je vais vendre, hélas ! presque sans bénéfice.
Redoutable brigand, fléau de ma maison,
Que ne puis-je à l'instant, au gré de ma vengeance,
Par la flamme ou le poison,
Détruire pour jamais ton exécrable engeance.
Brigand toi-même, infâme accapareur,
Qui, j'en suis convaincu, voudrais de tout ton cœur
Voir tes concitoyens à la famine en proie :
Ce serait là pour toi le comble de la joie.
Sur le seuil de ta porte, en vain le laboureur,
Qui de sa main sillonne et féconde la terre,
Tout couvert des haillons de l'affreuse misère,
Viendrait te présenter son front humilié,
Tu lui refuserais, avec un cœur de pierre,
Le pain qu'aux malheureux consacre la pitié.
Enfin, le seul vœu de ton âme
Est de pouvair, par un trafic infâme,
Affamant la société,
Assouvir ta cupidité.
Eh bien ! le ciel, en sa colère,
Semble, en ces lieux, m'envoyer tout exprès
Pour renverser tes coupables projets ;
Et le mal que je fais est un ma] nécessaire :
Il te contraint, par ce moyen,
A vendre ce précieux bien,
Ce grain qui du commerce est le premier mobile.
Cesse donc envers moi de t'échauffer la bile ;
Par d'insolents propos cesse de m'étourdir :
Je rentre en mon réduit où je vais m/applaudir
D'avoir pu dépouiller le crime
D'une fortune illégitime.

Livre IV, fable 14




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