L'Abeille et la Fourmi Prosper Wittersheim (1779 - 1838)

Une fourmi laborieuse,
Allant son petit train,
Contente de son gain,
Se croyait très heureuse
Et l'était ; mais... l'ambitieuse !

Soit hasard, soit ordre du ciel,
Elle s'égare, arrive chez l'abeille,
Voit les ruches et s'émerveille.
L'hôtesse dit, en présentant son miel
« Mangez, voisine,
N'épargnez pas ;
J'ai mon usine,
J'en lais des tas !
Plein de délicatesse,
Il est pur et sucré.
— Vraiment quelle richesse !
Et comme il est doré ! »

La fourmi mange, admire,
Et cache son dépit.
Jalouse, elle soupire,
Feint de sourire,
Flatte, loue, et tout has se dit:
« L'affaire est belle et bonne.
Surprenons son secret. »
Puis la friponne
Adroitement questionne,
Et par degré
Surprend tout le mystère.
Elle sort en riant,
Fait un faux compliment
Que l'on eût cru sincère,
Et, d'une ambitieuse ardeur,
Comptant le bénéfice,
Marche, court, entame une fleur,
Jusqu'au sein du calice.
O source féconde, ô trésor !
De l'abeille, dans la prairie
Surpassant l'industrie,
Bientôt elle aura l'heureux sort !

Mais, hélas ! vain effort !
La fourmi n'a pas de quoi vivre...
À pied, courir les champs
C'est trop perdre son temps.
Dans son vol léger, qui peut suivre
L'active abeille ? en cent détours
Elle va, vient, à sa demeure
Court vingt fois, a fait dans une heur
Ce que l'autre lait en trois jours.

Triste, découragée,
La fourmi connaît son erreur ;
Mais, bien loin d'être corrigée,
Elle se livre à sa douleur,
Et poursuit nouvelles chimères,
Méprisant sa prosession
Qui suffisait naguères
À son ambition.

Pauvre enfin, avilie,
Et loin d'un monde qui l'oublie,
L'esprit énervé, soucieux,
La fourmi, délaissée,
Sans espoir dans les deux,
Languit et meurt désabusée.

Ainsi meurt l'ambitieux !

Livre I, fable 3




Commentaires