Les deux Rosiers Prosper Wittersheim (1779 - 1838)

Dans une serre magnifique,
Où règne un éternel printemps,
Un rosier jeune, au souffle aromatique,
Brillant, s'élance. Il avait en tout temps
Un sort doux et prospère.

Dans un jardin, non loin,
En face de la serre,
Végète dans un coin,
Abandonné, sans soin,
Un rosier effeuillé, mais nerveux... C'est son frère...

L'habitant de la serre, un jour,
Lui dit: « Regarde, et rougis de ta mine,
Regarde : éclatant en ma cour,
Je jouis, je raffine
Sur le grand art de vivre heureux.
Toi, que fais-tu ? rien ! le monde t'ignore.
Grêle, pluie, aquilon fougueux,
Puis un ardent soleil encore,
Tout, tout conspire à t'abîmer.
Tu fais pitié! viens partager mon règne.
Et que sous mes lois l'on t'enseigne
L'art de vivre et l'art de charmer. »

Mais à cet avis qu'il dédaigne,
En souriant le frère a répondu :
« À la saison prochaine
Attendons... l'on verra sans peine,
Qui de nous a le mieux vécu. »
Las ! le printemps a reparu ;
Le beau rosier, devant la serre,
Dans la fange jeté,
Expire aux yeux du frère.

« Voilà ton sort, et tu l'as mérité,
Dit l'autre, brillant de santé.
Qui vit dans l'art, vit hors de la nature,
Et rend le bien surpris avec usure.
Tout me va, bon ou mauvais temps ;
Par le mal, le bien s'apprécie ;
Vivre sans art est ma philosophie,
Et c'est l'art de vivre longtemps. »

Livre III, fable 7




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