L'Amitié, l'Amour et l'Hymen Simon Pagès (17ème siècle)

Du fond d'un bois écarté, solitaire,
La déesse au regard serein-,
Au sourire enchanteur, au visage prospère,
L'Amitié venait un matin,
Pensant au bien qu'elle sait faire.
Elle voit par hasard, sous un saule pleureur,
L'enfant adoré dans Cythère,
Le dieu d'amour, triste et rêveur,
Qui maudissait la terre entière.
—Enfant chéri ! qu'as-tu, pour t'attrister ainsi ?
Pourquoi fuis—tu loin: de ta mère ?
Lenfant,, d'un air boudeur, regarde autour de lui...
L'Amitié s'aperçoit que ses flèches brisées:
Sur le gazon sont dispersées.
Que son arc est rompu, ses ailes fracassées ;
Ensuite elle l'entend s'écrier tout en pleurs:
— N'est-il pas douloureux, la plus chère des sœurs,,
De se voir maltraiter d'une telle manière ?
Dieux ! et par qui !
Par un ami.
De ton flambeau, soleil, refuse la lumière.
Ecoute bien, écoute bien ceci.
Le bon Lubin aimait Sylvie,
Sylvie aimait le bon Lubin ;
'Tous deux avaient juré de consacrer leur vie
A me rendre un honneur divin.
Ces amans m'adoraient dans un champêtre asile,
Un encens pur brillait pour moi,
Et Je ménage était tranquille,
'Dans le sein du bonheur suivant ma douce loi.
Hymen vient ce matin me dire :
Sur tous les cœurs je connais ton empire ;
Mène-moi chez Lubin, satisfais mon désir:
— Volontiers, je réponds ; j'aime à faire plaisir.
Il est reçu, fêté,... l'on sait bien comme...
Introduit dans le sacré lieu,
Comment se comporte ce dieu ?
Hélas ! pas même en galant homme.
Renversant mon auguste autel,
Bientôt il détruit, il ravage,
Enlève ma céleste image :
Ce n'est pas assez, le cruel !
Il l'oblige à sortir... L'Amitié le console,
Sèche ses pleurs, le reçoit dans ses bras:
Viens, lui dit-elle, suis mes pas,
Abandonne ce triste saule.
L'Amour Ia suit au mont voisin,
Chez le bon et gentil Lubin.
Avec grâce, avec art un aimable Génie,
L'Hymen, présidant en ce jour,
Avait construit un temple approuvé d'Uranie.
Bientôt on annonce |'Amour.
Conduit par 'Amitié. Le dieu de l'harmonie,
D'accord pour lui jouer ce tour,
L'amène vers l'Hymen ; l'Hymen chasse un nuage:
Que voit l'Amour ? L'Amour voit son image,
Son image adorée en ce charmant séjour.
L'Amour de l'Amitié connaît d'abord l'ouvrage.
Il rit, rit beaucoup à son tour.
L'Hymen l'embrasse, à la fête l'engage :
Tu vois qu'on adore en ces lieux,

Dit-il ; crois que lorsque peu sage,
Je me brouille avec toi, mon état est affreux.
Ne faisons qu'un, vivons dans un même ménage.
Si de nous séparer nous avons le malheur,
Ah, puisse l'Amitié réunir notre cœur !

Livre IV, Fable 26




Commentaires