Les Cerises Stop (1825 - 1899)

Jésus se promenait un jour avec saint Pierre.
En marchant il trouva, perdu dans la poussière,
Un vieux fer de cheval ; alors il se baissa,
Recueillit l'épave et passa.
Pierre l'avait vu faire avec quelque surprise :
- « Seigneur, dit-il, excusez ma franchise ;
Mais pour quel mince objet arrêtez-vous nos pas ? »
Jésus sourit et ne répondit pas.
Bientôt, en tournant la colline,
On aperçut, sur son âne juché,
Un paysan, portant à la ville voisine
Des cerises pour le marché.
Le Maître alors eut sa revanche :
En échange du fer qu'il avait à la main,,
Il reçut du fruit mûr., le glissa dans sa manche3
Et doucement se remit en chemin.
Le soleil était chaud ; le front baissé, saint Pierre
Marchait silencieux et restait en arrière.
Au bout de quelques pas, son divin Compagnon
De sa manche laissa tomber une cerise.
Pierre inclina sa tête grise
Et, ramassant le fruit mignon,
Le savoura, non sans un peu de gourmandise.
Même jeu quelques pas plus loin.
Chaque fois, l'Apôtre avec soin
S'arrêtait, recueillant la précieuse aubaine ;
De la sorte il alla jusques à la douzaine.
Jésus alors, se retournant, lui dit :
« Combien de fois t'es-tu courbé dans la poussière,
Pour avoir dédaigné de ramasser à terre
Le vieux fer dont j'ai fait profit ?
Tout, ici-bas, doit trouver son usage,
Et rien n'est créé sans dessein ;
C'est peu qu'un grain de blé; mais je vois dans son sein
De sa fécondité sommeiller l'héritage :
La prévoyance est le salut du sage. »

Fable 37




Commentaires