Le Hibou mourant Théodore Lorin (19è siècle)

Chargé d'ans et d'ennuis, un malheureux hibou
Seul et désespéré se mourait dans son trou.
Il aperçoit une vieille corneille
Qui comptait plus de cent printemps :
Au dire des oiseaux, c'était à ses talents
Qu'on devait faire honneur d'une telle merveille.
« Tu possèdes, dit-il, des secrets précieux
Pour reculer le terme de la vie :
Je t'en supplie au nom des dieux,
Viens me donner tes soins ; je suis à l'agonie,
Et sans aucun secours. »—« Mais ta femme et tes fils ?
Dit la corneille.» — « Hélas ! s'ennuyant de mes cris.
Mes cruels fils et leur coupable mère
Depuis longtemps se sont enfuis,
Me laissant seul, mourant, en proie à la misère. »
« Mais les amis sur qui tu versas tes bienfaits ?… »
« Des bienfaits, des amis !… Ma foi, je n'ai jamais
De ces fades billevesées
Un seul instant occupé mes pensées.
Répandre des bienfaits ! moi ! Tu n'y songes pas :
A quoi bon faire des ingrats ? »
Le moribond allait poursuivre
» Être à la fois égoïste et méchant !
Dit la corneille en s'envolant,
À ton malheureux sort sans regret je te livre :
Qui ne vit que pour soi n'est pas digne de vivre. »

Livre I, Fable 3




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