Au milieu d'un gras pâturage
Paissaient tranquillement deux superbes taureaux.
Dès leur enfance, amis quoique rivaux,
Jamais le plus léger nuage
N'était venu troubler leur paisible repos.
Même paix unissait les deux heureux troupeaux.
Bref, par leur amitié sincère
Ils édifiaient le canton.
Un avide et puissant lion,
A l'œil étincelant, à la longue crinière,
Les attaquait en vain : forts de leur union,
A sa gueule enflammée, à ses grifses sanglantes
Ils opposaient leurs cornes menaçantes.
Au défaut de la force, il eut recours à l'art :
Il va trouver son voisin le renard,
Vrai modèle de perfidie.
Le fin matois, adroit et cauteleux
Entre les deux amis sema la zizanie.
Toute confiance est bannie
De ces deux cœurs nobles et généreux
Qu'une tendre amitié rendait jadis heureux.
Plus de doux entretiens, et partant plus de joie.
Séparé de son compagnon,
De l'ennemi commun chacun devint la proie.
Tirons de leur désastre une utile leçon.
Si la paix, l'amitié, la douce confiance
Resserrent nos liens, grâce à notre union,
Nous saurons déjouer la perfide alliance
Et du rusé renard et du cruel lion.
ENVOI A MADAME DE POUGENS
Quand je voulus chanter la paix et l'union,
Connaissant mon peu de génie,
J'invoquais à grands cris le divin Apollon.
Mon cher, me dit le Dieu : j'aime ta modestie,
Et pour récompenser ta bonne intention,
Tu seras inspiré par l'âme de Julie. »