La Perruche et le Rossignol Ulric Guttinguer (1787 - 1866)

Une Perruche s’envolait :
Les femmes criaient : « Quel dommage ! »
Pour moi, j’eusse dit : « Bon voyage ! »
— Eh quoi ! cet oiseau vous déplaît ?
Il est d’un si brillant plumage !
— Oui, mais je hais son caquetage,
Ses cris aigus, son bec retors.
Il parle, dira-t-on. — C’est un de ses grands torts !
Son babil rompt toutes les têtes ;
Dieu devrait, par compassion,
Oter sans exception,
La parole à toutes les bêtes.
Que de muets alors, et moi tout le premier !
Venons au fait : la Perruche envolée,
Du premier au second, du second au grenier,
Court les champs; sa maîtresse en était désolée :
C’était une dévote aimant fort le caquet,
Veuve, et depuis longtemps réduite au Perroquet;
Elle pleurait bien plus, m’a dit le voisinage,
Qu’aux premiers jours de son veuvage.
On remplace un mari, mais jamais un oiseau
Si bien instruit, si grand parleur, si beau !
Ce phénix tant pleuré, poursuivant son voyage,
Vient s’abattre dans un bocage ;
Il faisait nuit, on était au printemps ;
Un Rossignol sous le feuillage
Soupirait de tendres accents :
On se sentait l’âme attendrie
De volupté, d’amour, de rêverie ;
Il célébrait tour à tour en ses chants
Et la nature et l’espérance,
Surtout la douce indépendance
Qu’on ne peut bien goûter qu’aux champs.
Les oiseaux enchantés l’écoutaient en silence,
Quand tout à coup un aigre sifflement
Trouble le saint recueillement ;
C’était la Perruche maudite
Qui, ricanant,
Babillant, raisonnant,
Faisait aussi preuve de son mérite.
Ses talents mettent tout en fuite.
En riant de sa vanité,
Chacun lui tenait ce langage :
« Ah ! le triste talent qu’un talent emprunté ! »
Tenez, les Perroquets sont nés pour être en cage,
« Le Rossignol pour le bocage
« Et pour la liberté ! »

Fable 14




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