Les deux héros de mon histoire
Se sont trouvés sur le sol africain
Le lendemain
D'une insigne victoire.
Arabes et Français
Deviendront-ils jamais
Amis et frères ?
Pour moi, je hais tant les corsaires
Que je frémis au nom ou d'Arabe ou d'Anglais.
J'ai vu des politiques
Qui comptent, par leurs bucoliques,
Faire de l'Algérie un royaume divin
Pour sa foi, ses vertus, pour sa morale : enfin
Arabes deviendront excellents catholiques
Le croire, c'est rêver. Un célèbre drogman
M'a dit que les doctrines
Du divan
» Ont déjà pris racines
Chez les oiseaux du sultan.
Plus d'un mufti travaille à cette propagande
Avecque zèle, nuit et jour.
Plus de galops bruyants ; la grave sarabande
Est l'unique plaisir que puisse prendre amour.
Les discours et les chants respirent la décence
Chez convertis et chez docteurs.
En France,
Moins réservés sont les oiseaux parleurs,
J'en fournis un exemple :
Pour un
J'en aurais cent, car la matière est ample.
Oiseau léger est si commun!
Un général (son nom ne fait rien à la chose)
Avait conduit son perroquet
En Afrique ; et je suppose
Que le seigneur avait certain projet...
Dire lequel, lecteur, je n'ose,
Et viens au fait.
En voyant sur la citadelle
Flotter les trois couleurs,
Et dans verte nacelle
Voguer les Français vainqueurs,
Mons perroquet ne se sent d'aise ;
Il chante et rit... à la française,
Folâtre, agace cent minois,
Fait le galant et le courtois.
Dès qu'il a vu jeune perruche,
Pris de la belle il se juche,
Sur les arceaux d'un minaret,
Non pour dormir. « Dieu du prophète,
Disait l'oiseau, ne crains pas que j'admette
Autre mentor que Mahomet ;
Je veux mourir sous sa houlette.
- Bravo! répond le perroquet :
Je suis de votre avis, madame,
Tel est aussi mon programme.
Dites un mot, je me fais musulman ;
J'endosserai le doliman.
Entrons à la mosquée.
— Je ne le puis, monsieur, car je suis convoquée
Pour assister, sur les hauts lieux,
A la pose d'un temple, au divan indiquée
Par nos dieux.
— Je veux prouver ma sympathie
Pour le prophète Mahomet;
Je serai donc de la partie. »
Ainsi parla monseigneur perroquet.
Mais il fit plus; avec la serre
Prenant une pierre,
11 a jeté le fondement
Du monument...
Pour un Français, c'est incroyable!
Pour un chrétien abominable!
Si j'étais roi, pardevant le sénat
Je citerais cet apostat.
Son maître, lui, mille autres dignitaires
Avaient juré qu'heureux dans le combat,
Ils châtieraient les corsaires.
Ont-ils donc oublié que messieurs les forbans
Au nom de Mahomet et pillent et ravagent?
Puisque nos perroquets agissent et ramagent
En vrais mahométans,
Je ne sais plus que penser et que dire.
L'oiseau, parmi les siens, se pavane et s'admire.
Au fond, je n'en veux pas au renégat ailé,
Par son maître il était sifflé.
Que de gens, sans aller au sol de l'Algérie,
Ont lâchement trahi les dieux et la patrie !