« Les sorciers du vieux temps n’étaient pas les plus fins,
Disait Colas à maître Pierre,
Et j’en vois aujourd’hui, compère,
Qui me semblent bien plus malins !
Tiens, regarde cette machine
Plus haute que notre clocher,
Ils savent la faire marcher
De telle façon qu’on, devine
Ce qui se passe à cent milles d’ici,
Et cela dans l’instant, et de telle manière
Qu’on sait s’il faut ou non se donner du souci,
Si nous avons la paix, si l’on nous fait la guerre,
Si le grand Turc est mort, si le Prince a chassé,
Si de quelque ministre il s’est débarrassé ;
Cet instrument, si je sais l’orthographe,
Porte le nom de Télégraphe !
Quel malheur ! il ne marche pas !
Tu verrais remuer ses bras,
Tantôt lentement, tantôt vite,
À droite, à gauche, en haut, en bas,
C’est merveilleux !… » Un tel éloge excite
Le télégraphe à montrer son mérite :
Mais son guide est absent !… Il n’en ira pas moins,
Et le voilà, devant témoins,
Qui de lui-même extravague,
Saute, tourne, en tous sens divague,
Sans but, sans rime ni raison !
Et nos badauds de trouver cela bon,
De croire qu’il pleut des nouvelles,
Et qu’avant peu l’on en saura de belles !
Pendant qu’ils admiraient, d’étranges accidents
Pensaient arriver sur la terre :
Annonçant au hasard révolte, paix ou guerre,
Le télégraphe et ses correspondants
Culbutaient plus d’un ministère ;
L’État fut en péril, et les Princes tremblants
Sentirent vaciller leurs trônes chancel ans :
Plus d’un pouvait s’en aller en ruines,
(Et voyez combien cependant
Il devient parfois imprudent
De flatter certaines machines !)
Il faut les préserver des sots,
Et de temps en temps leur redire :
Voulez-vous marcher à propos,
Et ne troubler aucun repos,
Machines, laissez-vous conduire !