Le Trésor Antoine Bret (1717 - 1792)

Infortunés, insensés que nous sommes !
Faut-il le redire encor ?
Mille fois on l'a dit aux hommes,
Rien n'est si funeste que l'or.

Dans l'Indoustan faisaient voyage,
Zéhir, Amar et Mosthady,
Tous trois à peu près du même âge,
S'aimant tous trois et s'estimant aussi,
Honnêtes gens, ou du moins croyant l'être,
Car on ne sait souvent ce que l'on est,
C'est à l'épreuve à nous faire connaître
Si notre cœur est tel qu'il le paraît.
Un trésor ! C'est ici l'épreuve des amis.
A cet appas leur âme émue
Croit sentir un plaisir permis.
Diviser le trésor, c'est vouloir faire outrage
A leur délicate amitié ;
En ne faisant aucun partage
De ce bienfait commun par le Ciel envoyé,
Ils s'aimeront, disent-ils davantage.
On est plus riche, il faut jouïr,
Travailler moins, se donner du plaisir ;
On a de l'or, il faut en faire usage.
Dans la ville prochaine Amar est député,
A son goût, à son zèle, à son activité,
La nourriture est aussitôt commise.
A peine est-il parti, que le couple resté
S'entretient du Trésor et puis de la sottise
Du pourvoyeur qui court à la cité.
Si nous partions, dit zéhir, sans l'attendre,
Qu'à son retour il serait sot
De ne plus retrouver compagnon, ni magot.
Vraiment, c'est assez bien l'entendre,
Dit Mosthady, nous serions plus heureux ;
Nous aurions tout l'or pour nous deux :
Amar est un assez plat homme,
Mais il pourrait nous joindre quelque part,
Et du trésor revendiquer sa part ;
Dès qu'il reparaîtrai, veux-tu que je l'assomme ?
C'est le plus court, le plus sûr... Je le crois,
Répond Zéhir ; qu'il meure et qu'avec toi
Je sois le seul à partager la somme.
Amar revient sur le soir et bientôt
Les deux amis, l'attaquant par derrière
Sans lui dire le moindre mot,
Vous l'étendent sur la poussière ;
Et puis sans remords aussitôt
De s'attabler, de manger et de boire ;
De dévorer certain pâté
Que la mort avait apporté ;
Mais tout à coup (qui l'eût pu croire ?)
Nons deux assassins déchirés,
Criant en brais désespérés,
Au même instant descendent au Cocyte,
Est-ce le ciel vengeur qui les y précipité ?
Sans doute ils l'avaient mérité :
Non, c'est Amar à qui de son côté
Le trésor avait fait envie,
Et qui, pour leur ôter la vie,
Avait empoisonner lui-même le pâté.

Voici donc le trésor sans maître,
A quel humain va-t-il être remis ?
Hélas ! il le rendra peut-être
Plus méchant que nos trois amis.

Fables orientales, fable 5




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