Jadis un estomac de gourmande mémoire.
Et pour qui, je crois, le premier
Fut inventé l’art de manger et boire
Plus que ne veut besoin notre vrai cuisinier,
Notre vrai médecin, si nous savions l’en croire.
Cet estomac étroit amoureux du ragoût,
De potages farcis et de fines entrées,
De piquants entremets, sophistiques denrées,
Qui font à l’appétit survivre encor le goût.
L’insatiable donc s’en donnant à cœur joie,
Ne disait jamais : c’est assez.
Tant bien que mal il digérait sa proie ;
Puis, sans rien dire, il vous envoie
Mauvais chile, et de-là se forme mauvais sang ;
Sang qui bientôt du corps rend toutes les parties
Languissantes, appesanties :

Toutes s’en trouvaient mal ; chacune avait son rang.
Tantôt c’était bons maux de tête ;
Tantôt colique, ou bien douleurs de reins ;
Poitrine embarrassée, ou rhumatisme en quête
De l’une ou l’autre épaule ; et pour combler la fête,
Dame goute entreprend et les pieds et les mains.

Qu’est-ceci, dit l’homme malade ?
Qui cause tout cela ? Ce n’est pas moi du moins,
Dit l’estomac ; je vous rends bien mes soins,
Et ne vous fais point d’incartade.
Vous fais-je mal ? Tâtez ; faut-il d’autres témoins ?
La poitrine ma camarade,
N’est pas si fidèle que moi :

La tête rêve trop ; le pied, de bonne foi,
Ne fait pas assez d’exercice :
Le calomniateur donne à chacun son vice ;
On n’est bien servi que de lui.
Le malade le crut : ainsi, ce fut autrui
Que l’on punit des fautes du perfide.
Topiques aux endroits où la douleur réside ;
Puis, bistouris en dance ; enfin la fièvre prend ;
Tout le corps y succombe, et le voilà mourant.
C’est fait, pauvre estomac, dites vos patenôtres ;
Les médecins par les règles de l’art,
Des membres et de vous ont conclu le départ.
Nous avons beau jeter nos fautes sur les autres ;
Nous en pâtissons tôt ou tard.

Livre III, fable 18






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