Le Pêcher et le Mûrier Antoine Houdar de La Motte (1672 - 1731)

Un pécher, les amours et l’espoir de son maître,
Du jardin l’arbre favori,
Le printemps ne faisant que naître,
S’applaudissait d’être déjà fleuri.
Il avise un mûrier tout aussi sec encore
Que dans les froids les plus cuisants :
Aucun signe de vie ; on n’y voit rien éclore,
Feuilles ni fleurs ; ses rameaux languissants
Sont encor tous transis à la honte de Flore.
L’ami, dit le pécher, que te sert le printemps ?
Ta paresse le déshonore.
Déjà de sa touchante voix.
Philomèle l’annonce aux échos de ces bois ;
Toute la nature s’éveille.
Dès le matin une aurore vermeille
Vient nous arroser de ses pleurs,
Nectar délicieux des arbres et des fleurs.
Cependant, paresseux, le zéphire a beau faire ;
Tu dors, quand tout est éveillé.
Que ne m’imites-tu ? Regarde, considère
Comme j’ai déjà travaillé.


Me voilà tout fleuri ; d’une belle espérance
Voilà déjà mon maître régalé.
Je lui tiendrai parole, il peut compter d’avance
Qu’au nombre de mes fleurs mon fruit est égalé.
À peine l’arbre a-t-il parlé,
Qu’un vent de bise souffle, et détruit tout l’ouvrage.
Du pécher la fleur déménage,
Et tout espoir de fruit avec elle envolé
Lui laisse à peine attendre un stérile feuillage.
Eh bien, dit le mûrier, avois-je donc grand tort
De ne me pas presser si fort ?
Zéphire a beau souffler, je crains encor la bise.
Sache qu’il faut à tems commencer l’entreprise,
Quand on veut en venir à bout.
L’impatience gâte tout.

Livre IV, fable 2






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