Par pitié pour le fou souvent le sage plie ;
Pour vrai respect le fou prend sa pitié.
L’égard qu’on a pour la folie,
La rend plus folle de moitié.
Ce grand ne peut souffrir que l’on le contredise.
Eh bien, soit, vous avez raison.
Nous voilà pris au mot : pas le moindre soupçon
Qu’il vient de dire une sottise,
Et que notre ménagement
Lui dit qu’il est sot doublement.
On voit un auteur fanatique,
Sur chacun de ses vers prêt à s’extasier,
Pâlissant, frémissant à la moindre critique :
De peur de le mortifier,
Nous nous prêtons à sa manie ;
Un mot d’éloge échappe ; et mon homme est perdu.
L’idiot désormais se va croire un génie.
Vous l’avez dit : du moins, l’a-t-il bien entendu.
J’alléguerais sans peine un tas d’autres exemples ;
La morale n’a point de matières plus amples :
Mais je n’épuise rien ; et de crainte d’ennui,
L’art demande que je m’arrête.
Dire tout au lecteur, cela n’est pas honnête :
C’est trop se défier de lui.
Pour mille bons endroits, les chameaux ont un vice ;
Ce n’est pas trop ; le pied leur glisse ;
Ils sont sujets à s’écarter.
Ceci posé, je puis conter
Comme un chameau, d’ailleurs fort sage et fort honnête,
S’enorgueillit d’un cas qui lui tourna la tête.
Avec ce monsieur-là, ceux qui le conduisaient
Allaient passer un mont fort rude.
Le chameau pâtissait ; ses pieds s’y refusaient ;
Nos gens sont en inquiétude ;
Pour rendre le chemin moins glissant et plus beau,
Ils mettaient des tapis sous les pieds du chameau.
À la précaution qu’il prend pour déférence,
Le chameau se rengorge ; il vous fait le gros dos ;
Compte ses pas, comme un pédant ses mots,
Et marche gravement ainsi qu’une éminence.
À passer la montagne il met le jour entier ;
Et la nuit toute entière il rêve
À l’honneur du tapis ; le sommeil n’y fait trêve ;
Il ne dort point, de peur de l’oublier.
Mais quand, le lendemain, on veut qu’à l’ordinaire,
Pour recevoir sa charge il baisse les genoux,
Qu’est-ce, messieurs ? êtes-vous fous,
Dit le superbe dromadaire ?

N’est-ce pas moi qu’hier vous traitiez en seigneur ?
Suis-je aujourd’hui d’une autre espèce ?
Ses maîtres à grands coups guérissent son ivresse,
Allons, bas, maître raisonneur ;
Le tapis t’a gâté : ce n’était pas honneur ;
C’était égard pour ta faiblesse.
Par pitié pour le fou souvent le sage plie ;
Pour vrai respect le fou prend sa pitié.
L’égard qu’on a pour la folie,
La rend plus folle de moitié.
Ce grand ne peut souffrir que l’on le contredise.
Eh bien, soit, vous avez raison.
Nous voilà pris au mot : pas le moindre soupçon
Qu’il vient de dire une sottise,
Et que notre ménagement
Lui dit qu’il est sot doublement.
On voit un auteur fanatique,
Sur chacun de ses vers prêt à s’extasier,
Pâlissant, frémissant à la moindre critique :
De peur de le mortifier,
Nous nous prêtons à sa manie ;
Un mot d’éloge échappe ; et mon homme est perdu.
L’idiot désormais se va croire un génie.
Vous l’avez dit : du moins, l’a-t-il bien entendu.
J’alléguerais sans peine un tas d’autres exemples ;
La morale n’a point de matières plus amples :
Mais je n’épuise rien ; et de crainte d’ennui,
L’art demande que je m’arrête.
Dire tout au lecteur, cela n’est pas honnête :
C’est trop se défier de lui.
Pour mille bons endroits, les chameaux ont un vice ;
Ce n’est pas trop ; le pied leur glisse ;
Ils sont sujets à s’écarter.
Ceci posé, je puis conter
Comme un chameau, d’ailleurs fort sage et fort honnête,
S’enorgueillit d’un cas qui lui tourna la tête.
Avec ce monsieur-là, ceux qui le conduisaient
Allaient passer un mont fort rude.
Le chameau pâtissait ; ses pieds s’y refusaient ;
Nos gens sont en inquiétude ;
Pour rendre le chemin moins glissant et plus beau,
Ils mettaient des tapis sous les pieds du chameau.
À la précaution qu’il prend pour déférence,
Le chameau se rengorge ; il vous fait le gros dos ;
Compte ses pas, comme un pédant ses mots,
Et marche gravement ainsi qu’une éminence.
À passer la montagne il met le jour entier ;
Et la nuit toute entière il rêve
À l’honneur du tapis ; le sommeil n’y fait trêve ;
Il ne dort point, de peur de l’oublier.
Mais quand, le lendemain, on veut qu’à l’ordinaire,
Pour recevoir sa charge il baisse les genoux,
Qu’est-ce, messieurs ? êtes-vous fous,
Dit le superbe dromadaire ?

N’est-ce pas moi qu’hier vous traitiez en seigneur ?
Suis-je aujourd’hui d’une autre espèce ?
Ses maîtres à grands coups guérissent son ivresse,
Allons, bas, maître raisonneur ;
Le tapis t’a gâté : ce n’était pas honneur ;
C’était égard pour ta faiblesse.

Livre IV, fable 14






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