Mais n’est-il pas aussi des goûts sûrs ? Oui sans doute :
Ils sont rares ; mais il en est.
Heureux qui les rencontre ! Heureux qui les écoute !
Plus heureux encor qui leur plaît !
Travaillons-y, quoiqu’il en coûte.
Sur un vin frais cuvé le maître d’un logis
Tenait conseil, interrogeait son monde ;
La tasse courait à la ronde ;
Il voulait que chacun en donnât son avis.
L’un le goûtant à vingt reprises,
Très élégamment décidait
Qu’il était fait exprès pour les tables exquises ;
Un autre en l’avalant opinait du godet.
Ce vin tout d’une voix vaut la liqueur suprême
Dont les dieux s’enivrent là-haut :
On eût défié Bacchus même
D’y trouver le moindre défaut.
Arrivent deux gourmets, docteurs en l’art de boire,
Le marguillier Lucas et le syndic Grégoire ;
On leur en fait goûter. Eh bien, qu’en dites-vous ?
Votre avis n’est-il pas le nôtre ?
Il sent le fer, dit l’un : le cuir aussi, dit l’autre.
Bon, dit-on, quelle idée ! Et d’où viendraient ces goûts ?
Le bacchique sénat les croit devenus fous.
On les raille à l’envi ; mais courte fut la joie ;
L’évènement vint les justifier.
On trouve, en le vidant, dans le fonds du cuvier,
Une petite clef pendant à sa courroie ;
Et railla bien qui railla le dernier.
Auteurs, à mille gens votre ouvrage a su plaire ;
On le dit excellent ; ne vous y fiez pas.
Maint défaut échappe au vulgaire,
Qu’apercevront les délicats.

Livre IV, fable 6






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