Le monde est plein de faux censeurs.
Qu’on leur montre une bonne pièce,
Leur ignorante hardiesse
De son autorité la renvoie aux farceurs.
Ils n’y trouvent ni goût, ni force, ni justesse ;
C’est ceci, cela qui les blesse ;
Blâmant, proscrivant tout, et de par les neuf sœurs.
Eh, messieurs, c’est orgueil, et non délicatesse :
Vous n’êtes qu’ignorants, soi disant connaisseurs.
De se faire tirer certain homme eut envie.
Chacun veut être peint une fois en sa vie.
L’amour propre de son métier
Est ami des portraits : cet art qui nous copie
Semble aussi nous multiplier.
Ce n’est pas là notre unique folie.
Le portrait achevé, notre homme veut avoir
L’avis de ses amis, gens experts en peinture :
Regardez, il s’agit de voir
Si je suis attrapé, si c’est là ma figure.
Bon, dit l’un on vous a fait noir ;
Vous êtes blanc. Cette bouche grimace,
Dit un autre. Ce nés n’est pas bien à sa place,
Reprend un tiers : je voudrais bien savoir
Si vous avez les yeux si petits et si sombres ?
Et puis, en vérité, que servent-là ces ombres ?
Ce n’est point vous enfin ; il faut tout retoucher.
Le peintre en vain s’écrie ; il a beau se fâcher ;
Sur cet arrêt il faut qu’il recommence :
Il travaille, fait mieux, réussit à son choix,
Et gagerait tout son bien cette fois
Pour la parfaite ressemblance.
Les connaisseurs assemblés de nouveau
Condamnent encor tout l’ouvrage.
On vous allonge le visage ;
On vous creuse la joue ; on vous ride la peau ;
Vous êtes là laid et sexagénaire ;
Et flatterie à part, vous êtes jeune et beau.
Eh bien, leur dit le peintre, il faut encor refaire ;
Je m’engage à vous satisfaire,
Ou j’y brûlerai mon pinceau.
Les connaisseurs partis, le peintre dit à l’homme,
Vos amis, de leur nom s’il faut que je les nomme,
Ne sont que de francs ignorants ;
Et si vous le voulez, demain je les y prends.
D’un semblable tableau je laisserai la tête,
Vous mettrez la vôtre en son lieu.
Qu’ils reviennent demain ; l’affaire sera prête.
J’y consens, dit notre homme ; à demain donc ; adieu.
La troupe des experts le lendemain s’assemble,
Le peintre leur montrant le portrait d’un peu loin,
Cela vous plaît-il mieux ? Dites ; que vous en semble ?
Du moins j’ai retouché la tête avec grand soin.
Pourquoi nous rappeler, dirent-ils ? Quel besoin
De nous montrer encore cette ébauche ?
S’il faut parler de bonne foi,
Ce n’est point du tout lui, vous l’avez pris à gauche.
Vous vous trompez, messieurs, dit la tête, c’est moi.

Livre IV, fable 5






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