L'Enfant élevé par une Louve Antoine Le Bailly (1756 - 1832)

On ne sait par quelle aventure
Fut laissé près d'un bois un enfant nouveau- né.
Une Louve, en cherchant pâture,
S'arrête aux cris plaintifs de cet infortuné;
Elle adopte aussitôt la pauvre géniture,
Et l'allaite au fond des forêts.
Quoi ! l'animal entend la voix de la nature,
Et dans le cœur de l'homme elle a si peu
L'Enfant grandit avec la gent louvière ;
Se fit sans peine à sa manière,
Ou s'il en différait encor, d'accès !
C'est qu'il se nourrissait des mets de l'âge d'or.
Un certain jour qu'au bord d'une onde pure
Il se désaltérait, le seigneur du canton,
Du nouveau Romulus entrevit la figure.
Ce seigneur était un Caton.
Il arrête l'Enfant, chez lui le fait conduire ;
Veut qu'on le traite avec douceur,
Étudie avec soin son esprit et son cœur ;
Bref, il se charge de l'instruire.
Le voilà devenu l'enfant de la maison ;
Du maître en peu de temps il parle le langage,
Se montre déjà moins sauvage,
Et par degrés enfin il acquiert la raison.
C'est alors qu'avec pompe à ses yeux on étale
Tout le code de la morale :
L'élève est enchanté de ces hautes leçons ;
Selon lui, tant de beaux adages
Ne doivent composer de mille nations
Qu'une république de sages.
Dans l'ardeur qui l'enflamme, il cherche parmi nous
La pratique de ces maximes ;
Mais partout, ô surprise ! il voit avec courroux
Des scélérats puissants appelés magnanimes,
Des traîtres, des ingrats, ou des tyrans jaloux,
Profanant sans pudeur le nom sacré d'époux ;
Tout le cortège enfin des vices et des crimes.
-O ciel ! s'écria-t-il, que me proposiez-vous !
Qui ? moi, j'adopterais votre façon de vivre !
Non, non : la conduite des loups
Est bien moins dangereuse à suivre.
L'homme traite ces animaux
D'espèce féroce et barbare ;
Mais qu'à la sienne on la compare.
S'ils vivent quelquefois de la chair des agneaux,
L'homme épargne-t-il plus les bêtes moutonnières ?
Entre eux du reste ils sont égaux,
Et ne se souillent point du meurtre de leurs frères.
Pour vous, ambitieux rivaux,
Ne vous livrez-vous pas une éternelle guerre ?
Vous répandez des flots de sang ;
Pourquoi ? pour soutenir un faux titre, un vain rang,
Ou disputer un coin de terre.
Ah ! rendez-moi la liberté :
Quej'aille recevoir dans les déserts sauvages,
Non des avis, peut-être sages,
Mais des leçons d'humanité.

Livre IV, fable 8




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