Un Enfant s'égayait aux bords d'une rivière,
Lorsqu'il aperçut un marin,
Qui, le gouvernail à la main,
Conduisait sur les eaux une barque légère.
-Parbleu ! dit-il, cet homme est un grand sot
De se tourmenter de la sorte !
Hé quoi ! pour entraîner un si faible canot,
L'eau seule n'est pas assez forte ?
Je ne suis qu'un enfant ; mais à ce vieux routier
Je veux apprendre son métier :
Oui, tu n'en es, barbon, qu'à ton apprentissage. --
A peine achève-t-il ces mots,
Que sur une chaloupe attachée au rivage
Il descend, lève l'ancre, et vogue au gré des flots.
Notez que, dans son cours rapide,
La rivière cachait plus d'un écueil perfide.
Le Marin voit l'Enfant, et frémit pour ses jours ;
Il l'exhorte à grands cris à regagner la rive,
Ne pouvant assez tôt voler à son secours.
Mais le jeune imprudent laisse la rame oisive ;
Il chante, il se croise les bras,
Et se rit du danger qu'il ne soupçonne pas.
Tout-à-coup le bateau fragile
Vient à tomber dans un large courant ;
Le péril alors est pressant.
Aux conseils du barbon désormais plus docile,
L'Enfant porte une main débile
Tantôt au gouvernail, tantôt à l'aviron :
Vains efforts ! il succombe, épuisé, hors d'haleine ;
Et la barque, en suivant le torrent qui l'entraîne,
Conduit tout droit mon fanfaron
Sur les rives de l'Achéron.
L'Enfant, c'est l'homme en proie à ses caprices ;
Le gouvernail, c'est la raison ;
Et le torrent, ce sont les vices.
Note de l'auteur : Le 10 juillet 1784, le feu comte d'Albon, digne protecteur des arts, qu'il cultivait lui-même avec succès , obtint de Sa Majesté Louis XVI la permission de faire transférer le corps de Gébelin, son ami, dans ses jardins situés à Franconville. Là, il fit élever à sa mémoire un tombeau dont l'architecture noble, dans sa simplicité, caractérise si bien l'auteur du Monde primitif.
Il parut dans le temps une gravure de ce tombeau, faite d'après le dessin de F. M. de Lussy.