On appelle Pipée une chasse aux oiseaux,
Chasse innocente, et qui doit plaire
Même à la plus simple bergère :
Tout l'art consiste à tendre des gluaux,
Et dans cet art, aux champs comme à la ville,
Jeune fillette est toujours très habile.
Le ciel est-il pur et serein,
Au lever du soleil on commence la chasse.
Pour la reprendre à son déclin.
C'est dans un bois taillis que la scène se passe :
Tant mieux lorsqu'un vignoble en est assez voisin ;
Car la grive aime le raisin ;
Elle suce la grappe, et n'est pas plus tôt grise,
Qu'au panneau d'emblée elle est prise.
Un arbre est le théâtre où les acteurs ailés
Par le pipeau sont appelés.
Vers la cime de l'arbre on abat le feuillage,
Et puis, de branchage en branchage,
On y fait mainte entaille, où gluaux à foison,
Légèrement posés de distance en distance,
Et d'un solide appui laissant voir l'apparence,
Trompent geai, roitelet, pie, et merle, et pinson.
Au pied de l'arbre une loge est formée,
Et c'est sous son toit de ramée
Que le chasseur en rampant s'introduit
Sans bruit.
Quelque temps il reste immobile.
Grand silence ! tout est tranquille.
Le pipeau joue alors : il attire à l'instant
Des oiseaux la troupe crédule....
Mais terminons ce préambule,
Et sachons quel sort les attend.

Dans le tronc d'un vieux if logeait une Chouette,
Sur les bords fangeux d'un marais :
C'était une affreuse retraite ;
Elle l'avait choisie exprès
Pour y vivre en anachorète,
Et ne plus être en butte à mille oiseaux criards
Qui l'obsédaient de toutes parts.
Là, depuis quelque temps elle dormait tranquille,
Quand par malheur un geai, son plus cruel tyran,
Vient à la découvrir au fond de cet asile,
Et contre elle aussitôt de la gent volatile
Convoque tout l'arrière-ban.
On la chasse, elle fuit ; mais le merle et la pie
Cette fois ont juré sa mort.
En ce pressant danger, sous un buisson tapie,
Elle songe à son triste sort.
-D'où vient donc cette horreur secrète
Que j'inspire aux oiseaux ? se disait la pauvrette.
Ai-je mangé quelqu'un de leurs petits ?
Non : un lézard, qui rarement m'échappe,
Une souris, que plus souvent j'attrape,
Voilà de quoi je me nourris.
Mais je suis, disent- ils, un oiseau de ténèbres,
Toujours messager de malheur ;
Mes cris sont des accents funèbres.
Enfin l'homme lui-même, ô comble de douleur !
Par mon nom désigne un voleur.
Je suis donc le rebut de la nature entière ?
Mettons un terme à tant de maux ;
J'ai trop sujet de haïr la lumière.
Oui, mourons... mais vengée.
En achevant ces mots,
La Chouette s'enfonce en un bois solitaire,
Où maint oiseleur, aux aguets,
D'une pipée avait fait les apprêts.
Elle connaît le piège, et déjà sa prudence
Avait su l'éviter vingt fois ;
Mais ce piège aujourd'hui peut servir sa vengeance,
Puisqu'on la réduit aux abois.
Victime dévouée, elle s'y précipite
En jetant de sinistres cris.
La tourbe des oiseaux d'arriver au plus vite :
Ils vont pour l'attaquer ; dans le piège ils sont pris,
Ceux-ci par une patte, et ceux-là par une aile.
En vain de leurs confuses voix
Tous nos captifs font retentir le bois :
A grand bruit sur la loge ils tombent pêle-mêle.
C'est le tour du chasseur, et je laisse à penser
S'il est prompt à les ramasser ;
Mais à peine il les tient : - Messieurs, dit la Chouette,
S'il faut mourir, du moins je mourrai satisfaite :
L'oiseleur m'a vengée. Adieu, jusqu'au revoir.
Voilà ce qu'il en coûte à mettre au désespoir
L'ennemi qui bat en retraite.

Livre VI, fable 1




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