Le Derviche et le Sultan Antoine Le Bailly (1756 - 1832)

Fléau de ses états, un farouche Sultan
Ne dormait plus : tant pis ; le sommeil d'un tyran,
Dit un sage par excellence,
Est le repos de l'innocence.
Un jour, las de chercher ce sommeil qui le fuit,
De son palais il sort sans bruit,
Vole au désert : peut-être un remords salutaire
Dirige-t-il ses pas vers ce lieu solitaire.
Là vivait loin du monde un Derviche pieux :
Détaché des biens de la terre,
Déjà par la pensée il habitait les cieux,
Et reposait alors couché sur une pierre.
- Ce misérable ! il dort, dit le Sultan ; et moi...
Moi qui peux à mon gré disposer de sa vie,
Il faut que je lui porte envie ! ___
Il soupire à ces mots. -Holà! réveille- toi ;
Écoute et réponds à ton maître.
En te voyant dormir ainsi,
Il est aisé de reconnaître
Que tu vis exempt de souci ;
Mais ton lit, c'est la pierre, et, couché de la sorte,
Comment peux-tu dormir aussi bien ? -Eh ! qu'importe,
Dit le Dervis, de sommeiller
Sur le duvet ou sur la dure ?
J'ai fait un peu de bien, ma conscience est pure ;
Est-il un plus doux oreiller ?

Livre III, fable 8




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