Certain Favori d'un Sultan
Passait, avec raison, pour être un mauvais riche.
Or, un jour, il advint qu'un pauvre vieux Derviche
Lui demanda l'aumône, au nom du Saint Coran ;
Voilà que le Maudit, riant de sa prière,
Lui jette à la tête une pierre.
Et le Religieux, lâchement outragé,
De crainte d'une offense pire,
A ce méchant, tout haut, n'ose rien dire ;
Mais, il disait tout bas : Va, je serai vengé !...
Pour exécuter donc, tôt ou tard, sa menace,
Il ramasse la pierre, et, fort soigneusement,
Vous la dépose en sa besace,
Et puis, regagne son couvent.
Il avait projeté de rendre
Son présent à l'avare, et, dans l'occasion,
De lui faire subir la loi du talion.
À quelque temps de là, quelqu'un lui vint apprendre
La disgrâce du Favori.
Un Sultan ne fait point les choses à demi ;
Et, par ordre de Sa Hautesse,
Après avair perdu grandeur, pouvair, richesse,
Notre Homme devait, tout un jour,
Monté sur un chameau, dans chaque carrefour,
Au peuple servir de risée.
Allah ! fait le Derviche ; oh ! voici le moment,
Où, sans péril, je puis mettre à fin ma visée !
Et de courir, incontinent,
En son bissac chercher la pierre ;
Il la prend, réfléchit quelques instants ; et puis,
Comme frappé, soudain, par un trait de lumière,
Il va, tout de ce pas, la jeter dans un puits.
Allah, s'écriait -il, Allah, trois fois bénie
Soit l'heure que tu viens d'ajouter à ma vie !
Ah! jamais, il ne faut se venger, je le sens :
Nos ennemis sont-ils puissants,
C'est imprudence et folie ;
Tombent-ils dans l'adversité,
C'est bassesse et cruauté.