L'Enchanteur et la Sultane Éliphas Lévi (1810 - 1875)

Jadis un enchanteur fameux
Fut amoureux d'une sultane.
Sur une moelleuse ottomane
La belle était couchée, et ses mains, ses cheveux,
Se couvraient chaque jour de bijoux merveilleux.
Tout fleurissait près d'elle au gré de son sourire.
Voulait-elle des chaînes d'or,
Des griffons, des lutins, une bague, un trésor,
Elle n'avait qu'un mot à dire.
L'enchanteur était un géant
Qui d'un coup de massue eût brisé des tourelles ;
Mais quand le faible Amour le touchait de ses ailes,
Il soupirait comme un enfant.
Sur un tapis d'Alep, mollement appuyée,
La sultane bâillait et semblait ennuyée.
- Beau sire, disait-elle à son amant jaloux,
Que me font vos trésors ! ce que j'aime, c'est vous.
Mais quoi ! ne sauriez-vous devenir moins terrible ?
Les enchanteurs, dit-on, savent se transformer,
Vous pouvez vous rendre invisible,
Mais vous ne savez pas aimer.
Moi, je voudrais vous voir, sous la forme charmante
D'un oiseau bleu, d'un colibri,
Dormir au sein de votre amante.
Oh ! combien vous seriez chéri,
Si pour cueillir vous-même une fleur sur ma bouche,
Vous vous changiez en oiseau-mouche !
- Ne tient-il qu'à cela ? dit le géant charmé.
Voilà mon ogre transformé :
Brillant comme un saphir, léger comme une abeille,
Joli comme un bluet désertant sa corbeille,
Il vient solliciter des baisers amoureux.
Alors la sultane gentille
Le prend, le perce d'une aiguille,
Et le suspend à ses cheveux
En lui disant : Soyez heureux !

Amour, trop aimable folie,
Pour toi notre raison s'oublie :
On rêve le bonheur en courant au trépas.
Plutôt mourir pourtant que de te méconnaître !
Les amoureux liront cette fable peut-être,
Ils ne se corrigeront pas.

Livre III, fable 5




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