Le nid d'Alcyons Antoine Le Bailly (1756 - 1832)

Éole et ses enfants sur l'empire des eaux
Exerçaient d'horribles ravages ;
Ce n'était partout que naufrages,
Mâts fracassés et débris de vaisseaux.
Surpris au fort de la tempête,
Alcyon seul ose lui tenir tête.
D'un vol rapide il rase et Carybde et Scylla :
Un asile sacré l'attendait près de là.
Il touche donc aux bords d'une île
Où les fruits de Bacchus et les dons de Cérès
A l'oiseau prévoyant semblent offerts exprès
Pour bâtir de son nid l'édifice mobile.
Bientôt l'ouvrage est fait, vrai chef-d'œuvre de l'art,
Qui doit contre les flots lui servir de rempart.
Alcyon aussi devient père.
Pressé de ses petits, heureusement éclos
Par les soins vigilants de la plus tendre mère,
Il juge, au battement de leur aile légère,
Que déjà, pleins d'ardeur, vers un autre Colchos
Ils brûlent de voguer, Argonautes nouveaux.
Le père a compris leur langage :
Voilà son nid en mer ; il s'embarque avec eux,
Puisse le ciel protéger l'équipage !
Car au loin gronde encor l'orage ;
L'onde est toujours en butte au choc des vents fougueux.
Mais, o prodige ! ô fortuné présage !
La famille des Alcyons
Du rivage s'éloigne à peine,
Qu'au souffle impétueux des âpres aquilons
Succède des zéphyrs la molle et douce haleine.
L'horizon s'éclaircit ; Phœbus, de ses rayons,
A doré la liquide plaine ;
Et sur les mers enfin règne un calme parfait :
L'aspect des Alcyons a produit ce bienfait.
Sans nul obstacle alors le nid flotte, s'avance.
Alcyon voit la terre après un court trajet.
Soudain il débarque, il s'élance.
Pour un sensible père ô jour trois fois heureux !
Il a salué sa patrie....
Suivi de ses petits joyeux
Et de sa compagne chérie,
Comme son cœur palpite à l'approche des lieux
Théâtre de ses premiers jeux !...
Mais un bonheur si pur devait s'accroître encore :
Nouveau gage d'amour, objet des plus doux vœux,
Un autre Alcyon vient d'éclore :
Rival de ses aînés, il aura leurs talents,
Avec leurs grâces en partage.
Eh ! comment en douter ? issu de tels parents,
N'est-ce pas là son héritage ?

ENVOI

De la tige des rois illustre rejeton,
Prince, dont le regard propice
Encouragea l'essor de ma muse novice,
Reconnaissez vos traits dans ce noble Alcyon.

AUTRE PIÈCE DE VERS

« Un autre Alcyon vient d'éclore : »
Ainsi chantait ma muse en célébrant Nemours.
Omuse, je t'appelle encore !
Le nid des Alcyons est celui des Amours.
Un autre Alcyon vient d'éclore :
Muse, prête-moi ton secours....
Eh quoi ! tu gardes le silence,
Quand mon cœur, animé des plus doux sentiments,
Brûle de consacrer à la reconnaissance
Ma dernière pensée et mes derniers accents ?
-Vétéran du Parnasse, un tel zèle t'honore,
Me dis-tu, mais tes jours penchent vers leur déclin.
Voudrais-tu, n'écoutant qu'un délire trop vain,
Montrer l'ombre du soir à côté de l'aurore ?
Plus de moisson de fleurs dans le sacré vallon
Pour qui compte au-delà de son douzième lustre.
Laisse aux jeunes fils d'Apollon
Le soin de célébrer une naissance illustre,
Eux dont la lyre, en vers harmonieux,
Peut chanter noblement les héros et les dieux.
Toi, fais entendre un plus simple langage,
Digne aussi de ton but, mais conforme à ton âge.
Songe que d'Orléans, ce prince ami des arts,
Sourit dans son enfance à ton premier ouvrage.
De tes apologues épars
Fais un choix épuré qui fixe ses regards :
Peut-être obtiendras-tu son glorieux suffrage.
Il sait que l'apologue est la leçon des rois ;
Il sait que la fable autrefois,
ARome, dans Athène, opéra des merveilles,
Tant sur le cœur de l'homme elle exerce de droits.
Eh ! quel plus doux prix de tes veilles,
Si tu peux voir unjour ses augustes enfants
Des fruits de ton automne égayer leur printemps !

Livre I, fable 1


Note de l'auteur : Fable allégorique, présentée à S. A. S. Mgr le duc d'Orléans, le lendemain de la naissance du prince duc de Nemours.

L'Alcyon est un oiseau marin dont les anciens ont raconté beaucoup de merveilles ; ils le regardaient comme le précurseur du beau temps ; ils croyaient qu'il faisait son nid sur les flots. De là tant de devises , celle- ci entre autres, nequicquam terreor cestu, qui a été appliquée à un guerrier intrépide au milieu des hasards.
Si l'on en croit le naturaliste Belon, c'est dans les marécages voisins de la mer que l'Alcyon fait son nid. Il a le plumage bleu, vert et rouge, le corps de couleur rousse, le bec tranchant, avec les jambes et les pieds cendrés. Son nid est blanc, transparent, pétri comme un vase d'argile, très uni et très léger. Il le traîne, selon quelques marins, jusqu'aux bords de la mer ; et lorsqu'un vent de terre vient à souffler, il lève une aile pour que le vent le pousse au large, et il vogue ainsi au milieu des eaux.

Les voyageurs ne sont pas d'accord sur l'espèce de matériaux que l'Alcyon emploie à la construction de son nid. Les uns prétendent qu'il le forme avec le goémon, sorte d'algue marine ; d'autres, avec une écume blanche qui sort de son bec ; d'autres enfin, avec des épis et des pampres de vigne. Je m'en suis tenu à cette dernière tradition, comme j'en avais le droit, parce qu'elle se prêtait merveilleusement à la peinture locale qu'exigeait ma fiction allégorique. En cela, je n'ai fait qu'adopter l'opinion du savant Alciat, qui a composé sur cet oiseau l'emblème suivant, avec cette devise : Expace ubertas.


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