Le Singe et l'Ours Antoine Le Bailly (1756 - 1832)

Un bouffon, à la foire, avait ouvert boutique ;
Et, sa baguette en main, frappant sur un tableau,
Il criait aux passants d'une voix emphatique :
Messieurs, venez voir du nouveau,
Venez voir un spectacle unique ;
Ce sont des animaux rares, intéressants ;
Je les amène exprès d'un port de la Guyane.
Vous admirerez leurs talents ;
Je n'en excepte point mon âne :
Car mon âne, messieurs, est savant jusqu'aux dents. --
Cet homme, en parlant de la sorte,
Connaissait bien l'esprit des gens
Qui venaient assiéger sa porte.
Du reste, ses acteurs étaient assez plaisants ;
Mais le premier de tous, le héros de la troupe,
Qu'un Ours, maître à danser, portait souvent en croupe,
Était sire Jacot, singe de son état.
Jacot par mille tours égayait l'assistance ;
Et, grimacier par excellence,
Il aurait fait rire un sénat.
Sous l'habit militaire il fallait voir mon drôle,
Le chapeau tourné de travers,
La giberne au côté, le fusil sur l'épaule,
Imiter d'un soldat les mouvements divers.
Il avait une adresse égale
Pour s'escrimer le sabre en main :
Il eût pu défier enfin
Le plus fameux prevôt de salle.
A ce métier-là, par malheur,
Jacot, devenu diable à quatre,
Se montre insolent, querelleur ;
Tout son plaisir est de se battre.
D'abord il cherche noise au bouc, son compagnon ;
S'imaginant faire merveille,
D'un revers de son espadon
Il lui rase la barbe au niveau du menton ;
Puis envers maître aliboron
Il se permet gentillesse pareille ;
Que dis-je ? hélas ! le maudit garnement
Lui fait sauter un bout d'oreille :
Le docteur en avait de reste heureusement.
Loin de punir ces incartades,
On en rit, et dès-lors à tous ses camarades
Le Singe fait mille bravades ; -
A l'Ours même il jette le gant,
Et lui porte des estocades.
-En garde, beau danseur ! dit-il en se moquant.
L'Ours, comme on sait, n'entend pas raillerie ;
Armé de son bâton, il le charge à l'instant :
Jacot pare le coup, et, soudain ripostant,
Crève un œil à sa seigneurie.
L'Ours fait retentir l'air de sa voix de stentor ;
Il revient à l'assaut avec plus de furie :
Ajax fut moins terrible en combattant Hector.
Cependant c'est en vain que l'animal colère
Veut empoigner son agile adversaire ;
Le Singe l'esquive toujours,
Et maintenant de loin il fait la moue à l'Ours.
Celui-ci, dépité, sur la maligne bête
Lance enfin son bâton, et l'ajuste si bien,
Qu'en l'atteignant au front il lui casse la tête.
Ainsi périt Jacot, trop insigne vaurien ;
Et pour ses compagnons ce fut un jour de fête.

Tout faux brave, tout spadassin,
Au portrait de mon Singe a dû se reconnaître.
A ses imitateurs je prédis même fin ;
Tôt ou tard ils trouvent leur maître.

Livre V, fable 7




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