Lecteurs, à mon avis trop de zèle nous nuit.
Le gardien d’une ferme aboyait jour et nuit
Après le chat, l’oiseau, le vent, l’homme, la mouche,
Le passant du chemin, le soleil qui se couche,
Les mendiants, les bœufs, les moutons, enfin tout !
Ce qui n’était vraiment pas amusant du tout.
Aussi s’en plaignait-on très fort dans le village.
Plus d’un voisin fâché maudissait ce tapage.
Les abois de Rustaud ne plaisaient qu’au fermier.
Quel bon chien, disait-il, comme il sait aboyer ;
Gare au voleur d’argent, gare au chippeur de paille,
Lorsqu’il s’introduira mon Rustaud est de taille
À nous en avertir si délibérément
Que nous capturerons le larron prestement.
Des voleurs qui guettaient une heure favorable
Pour piller la maison, l’écurie et l’étable,
Entendirent cela. S’ils rirent, pensez donc ;
Le sombre soir venu, minuit sonnant, adonc,
Ils pressent le loquet, repoussent la barrière.
Rustaud aboie, aboie, à briser sa chainière.
Étant fait à ce train,
Le maître ne prend garde aux rages du mâtin.
Pendant son lourd sommeil les voleurs font main basse
Sur l’argent, sur le grain, sur la volaille grasse,
La vache, le cheval. Rustaud se démenait
Bondissait furieux, en vain s’époumonait ;
Personne à ses abois ne faisait diligence.
Le fermier, l’aube éclose, ouvre un œil bleu faïence,
Étire les deux bras, s’habille lentement.
Le chien grognait toujours, mais tout ce tremblement
Est pour le capucin (Rustaud hait la besace)
Le fermier, descendu dans sa cour, voit la trace
Des vols commis la nuit, jette un cri désolé :
Ô ciel je suis volé !…
Tu m’as laissé piller couarde sentinelle ?
Je vous ai défendu, n’accusez pas mon zèle,
Lui répliqua le chien. Mais le maître gromèle :
Ton zèle, vante-le, je lui dois mon malheur ;
Si tu n’étais sans cesse à crier : Au voleur !
Tes appels sérieux auraient troublé mes songes,
Tandis qu’accoutumé d’ouïr tous tes mensonges
En repos je dormais ; tu vas me le payer.
Et l’on pendit le chien aux branches d’un noyer.