J’ai souvenir qu’à Valence, en Espagne,
Un mien ami habitant la campagne,
Dans son fruitier rangea sur des rayons
Figues, cédrats, oranges et citrons.
Livrés à leurs réflexions,
Les fruits d’été, les fruits d’automne,
Ne souriaient point à Pomone.
Mûrir pour le Corrégidor,
Vêtir pour lui la robe d’or,
Les plongeaient en soucis. Trouvez-vous agréable,
Servis sur une table,
D’enfiler le chemin
D’un conduit souterrain
Qui mène droit au Styx ? ce sort est effroyable.
J’aurais mille ennemis,
Assassins et bandits,
Je n’oserais vouer les monstres au supplice.
Qu’un féroce appétit inflige avec délice
À des fruits délicats. Ceux du Corrégidor
Cherchaient tous les moyens d’échapper à la mort
Avant que le couteau n’eût perpétré le crime
De partager en deux sa fondante victime.
Fuir ! tous l’auraient voulu. Mais par où ? mais comment ?
La porte était fermée, et bien solidement.
Les verroux s’ajustaient. Une fuite impossible.
Qu’imaginer de prompt, qu’inventer d’infaillible.
Pour se sauver du fer ? Un melon andaloux
Dit aux désespérés : « Frères ! suicidons-nous !
— C’est cela ! c’est cela ! mourrons sans agonie,
Et de nos propres chefs arrachons-nous la vie, »
S’écrièrent les fruits.
En quelques nuits
L’orange fut gâtée et les citrons pourris.
Leur maître les pleura. Le pis, en cette affaire,
Fut qu’il ne sut pas taire
Ce désastreux événement.
La plupart des fruits, l’apprenant,
Évitent désormais un sort qui les attère
En se suicidant mêmement.