Le Chimiste et les Fruits Jean-Louis Aubert (1731 - 1814)

Certain Chimiste, aimant le jardinage,
Moins par goût que par vanité,
De son savoir très- entêté,
Avait l'extravagant usage
D'enlèver à ses fruits leur première bonté.
Il se fut bien gardé, dans leur maturité,
De les présenter sur sa table.
Habile à les décomposer,
Sa main les dépouillant de leur goût véritable,
Sa main par l'alambic les faisant tous passer,
En exprimait certaine quintessence,
Certain suc qui nuisait par son effervescence,
Et que pour le fruit même il prétendait donner.
Aux yeux de qui fait raisonner,
Certes, s'écriait-il d'un ton de suffisance,
Ces fruits bruts et grossiers, ouvrages du hasard
Acquérant en nos mains un degré d'excellence
Pour être bien goûtés ont besoin de notre art !
Tu te trompes, lui dit un Sage :
Tes fourneaux valent-ils les célestes rayons
De l'astre qui mûrit le fruit le plus sauvage ?
Ami, crois moi, laisse ces dons
Tels que tu les reçois des mains de la nature.
Dieu t'a permis d'en aider la culture,
Mais non de changer en poisons
Leur délicate nourriture.
Le Chimiste orgueilleux rejeta ces raisons.

Par un semblable excès maint Auteur se signale :
Il décompose en cent façons,
Il subtilise la Morale ;
Et fait tant qu'en venin il change ses leçons.
Eh ! laissez dans nos cœurs, qu'un instinct sûr éclaire,
Laissez de nos devoirs mûrir le sentiment :
Sans votre dangereux talent,
Ils auraient assez de quoi plaire,
Vous en ôtez le goût en les analysant.

Livre I, fable 15




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