L'Âne et le vieillard Barthélemy de Beauregard (1803 - ?)

Notre ennemi, c'est notre maître,
Ainsi parle le serviteur;
Mais, avec non moins de raison peut-être,
Le maître dit avec aigreur,
Usant du droit de la réplique :
Notre ennemi, c'est notre domestique.
L'Ane de la Fontaine avait certe bien tort
De se plaindre de son vieux maître,
Qui, par bonté, le laissa paître
Dans un herbage où le bandit
Ruait, sautait, chantait, s'ébaudissait,
Se permettait maint autre esclandre,
En se roulant dans l'herbe tendre.
L'herbage était à lui, Phèdre le fait entendre ;
Mais quel autre aurait attendu
Que son âne en goguette
Se fût bien ébaudi, bien vautré, bieu repu?
L'Ane eut donc tort de quitter le vieillard
Et de prendre un ton goguenard,
Pour lui cracher, avec impertinence,
Des discours remplis d'insolence;
Mais il en eut bientôt du repentir :
Surpris par des voleurs qu'il lui fallut servir,
Il dut souvent porter double bât, double charge,
Bien malgré lui prendre le large,
Pressé par un maître en courroux
Qui l'accablait d'injures et de coups ;
Puis, arrivé dans quelque affreux repaire,
Il fallait en toute saison
Se coucher sans litière ;
Pas la moindre douceur, pas le moindre chardon;
Des êtres sans pitié, des coups pour tout salaire.
Que de fois maître Aliboron,
Exténué de faim et de misère,
S'est dit : « Qui me rendra mon pauvre vieux patron ?
. Qui pour moi fut toujours si bon ! »

Le serviteur change de maître,
Et le maître de serviteur ;
Ils ont souvent raison ; il faut le reconnaître ;
Aussi tous deux changent-ils de grand cœur,
Mettant à se quitter une incroyable ardeur.
A ce mal je connais un remède suprême;
Mais tous les deux en ont horreur :
Ce serait de changer soi-même.





Commentaires