Que l’Âne est malheureux ! On l’excède, on l'outrage.
Son dos semble appeler les coups.
« Il est si bête ! » dites—vous :
Pour juger son esprit savez-vous son langage ?
Mais quoi ? Plaider sa cause est un frivole soin.
Venons au sujet de ma fable.
Content de retrouver son licol et son foin,
Un Âne rentrait à l’étable.
Il venait de la ville, et du jour en chemin
Avait vu l'aube et le déclin,
Jugez, son repas fait, s'il avait bonne envie
De sommeiller ! Le voilà donc
Sur la litière étendu de son long,
Oubliant les maux de la vie.
Sur l'entrefaite un maudit Chien
Qui pour toute besogne avait, ce jour, peut-être
Mordu quelques passants, et fait jurer son maître,
Indiscret et bavard, entame un entretien.
Il couchait prés de l'Âne, « A-t-on quelque nouvelle ?
Dit-il; ne sais-tu rien, l'ami ? »
L’Âne, dormant plus qu’à demi,
Murmure entre ses dents. « Réponds-moi, haridelle !
Dit le Chien. Ne peux-tu discourir un moment ?
Quel dormeur ! Ça, voyons, que sait-on de l’armée,
Et que fait le gouvernement ? »
De tant de questions l'autre bête assommée,
Répond : « Une nouvelle a couru ce matin.
On nous annonce une loi salutaire. —
Et cette loi qu’ordonne-t-elle enfin ? —
Aux sots aboyeurs de se taire. »