La Mort et la jeune Fille Barthélemy de Beauregard (1803 - ?)

Du monde entier je suis-la reine,
Disait la Mort ; sur la terre et les eaux,
Sur l’homme, sur la plante et sur les animaux
Je règne en souveraine.
D’accord avec le Temps,
Je détruis jusqu’aux monuments,
Et pour vassale j’ai la Vie,
Qui me doit, en tribut, livrer tous ses enfants.
J’ai pour agents la Maladie,
Qui prend mille déguisements,
La Guerre, l’Eau, la Peste et la Famine,
Les Médecins avec la Médecine,
Qui s’y prennent parfois si bien,
Qu’à force d’ordonnances,
Ils me font emporter certaines existences
Sur lesquelles, vraiment, je ne prétendais rien.
Personne encor n’a pu me regarder en face,
A part le saint ou le martyr,
Que la foi fascine et cuirasse.
Le plus hardi fait la grimace
Quand je lui dis : « Allons ! il faut partir. »
Le héros, à travers le prisme de la gloire,
Me voyant mal, au jour de la victoire,
Se permet de me mépriser ;
Mais je le vois bientôt se raviser,
Et, dès le lendemain, oublieux de la veille,
Il n’entend plus de cette oreille.
Tous ceux qu’on voit courbés sous le poids de leurs maux,
Qui se plaignent de leurs fardeaux :
Le bûcheron sous la ramée,
L’antique belle déplumée,
Le malheureux souffrant sans trêve ni repos,
L’aveugle, le goutteux, l’informe cul-de-jatte,
Celui que, dans la vie, aucun espoir ne flatte ;
Quand j’accours à leurs cris, pas un ne veut de moi.
Jeunes, beaux, laids et vieilles antiquailles,
J’inspire à tous un invincible effroi.
Je fais trembler, sur la machine ronde,
Ceux devant qui tremble le monde,
Les rois et les sujets, les savants et les sots.
On dit que je n’ai pas d’entrailles ;
Je n’en ai pas reçu quand on a fait les lots.
Voilà pourquoi j’aime les funérailles,
Les pleurs et les sanglots.
On parle d’une jouvencelle
Qui gémit dans cette tournelle ;
Je vais, de ce pas, m’amuser
A lui présenter un baiser. »

En ce moment, la jeune fille,
Les yeux au ciel, consolait sa famille,
Et disait : « Ô mon Dieu, que votre volonté
S’accomplisse sur moi, Monde par trop vanté,
Fortune, jeunesse, beauté,
Je quitterai tout avec joie,
Pourvu, mon Dieu, que je vous voie
Dans votre éternité ! »

Justement, c’est lui qui m’envoie,
Dit la Mort, en faisant craquer ses ossements,
Avec d’affreux ricanements,
Pour effrayer la jeune fille,
Dont le front serein brille
D’un éclat tout divin,
Et qui, toujours plus belle,
En souriant disait : « Demain
J’irai vers mon Dieu, qui m’appelle ;
Pourquoi pleurez-vous mon bonheur ?
Je vais où s’envole mon cœur.
Rien ici-bas n’excite mon envie,
Et ne me fait plaindre mon sort.
Je te rends grâce, ô Mort ;
Tu viens me conduire à la vie.
En t’arrachant ton aiguillon,
Mon doux Jésus t’a faite douce et bonne.
De la gloire dont il rayonne
Il nous donna l’échantillon
Quand, par l’effet de sa puissance,
Transfiguré sur le Thabor,
Il nous a dit : «Voilà votre espérance,
« Ressuscitez, vous revivrez encor ! »

En parlant, la jeune mourante
Était toujours plus rayonnante ;
Mais la scène avait bien changé :
On se trouvait dans une plaine immense,
Où, dans la plus belle ordonnance,
Le genre humain était rangé.
Les morts avaient secoué leur poussière,
Et tous étaient ressuscités.
Du ciel tombaient sur eux des torrents de lumière,
Dont ils étaient comme inondés.
La Mort, dans sa surprise extrême,
Reconnaissant ceux qu’elle avait frappés,
Et les voyant de la tombe échappés,
Sentit alors une douleur suprême,
Et faillit mourir elle-même.
« Eh quoi ! dit-elle, tous ces morts
Que j’immolai dans ma furie,
Plus que jamais sont pleins de vie !
Voilà le prix de mes efforts !
Je vois triompher ma rivale,
Et, malgré ma rage infernale,
Je n’ai pu la priver d’un seul de ses enfants.
Tous étaient morts ; les voilà tous vivants !
J’ai voulu m’amuser de cette péronnelle,
Et n’ai pas su la mettre à la raison ;
Elle a ri de ma faux cruelle,
Et m’a fait un sermon !
Je ne veux plus me mettre en quête
De ce qui naît, vit et se meut ;
C’est un trop sot métier ; moi, je prends ma retraite ;
Un autre le fera, s’il veut.
A ce labeur sans fruit je ne veux plus descendre. »
Une voix formidable alors se fit entendre :
« Tu le feras, tel est l’arrêt divin,
Jusqu’au jour où, retournant dans l’abime,
Tu verras ceux que ta cruelle main
Aura frappés en vain
Des cieux escalader la cime,
En entonnant l’hymne sans fin. »





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