Le Mendiant et son fils Édouard Parthon de Von (1788 - 1877)

Un mendiant de Smyrne, un soir,
Regagnant son toit misérable,
Trouva sur son chemin un magique miroir.
Dès qu'on s'y regardait, fût- on épouvantable,
On s'y trouvait un visage charmant.
Notre homme vit d'abord qu'un pareil talisman
Serait entre ses mains un trésor véritable.
Le lendemain, d'un air dévot et gracieux,
Le drôle répétait aux passants de tout âge :
« Sur ce miroir veuillez jeter les yeux ;
Contemplez le charmant visage
Dont le Prophète vous fait don ;
Et de son serviteur, qui demande en son nom,
Ne rejetez pas la requête. »
Le miroir était trop honnête,
Et le compliment trop flatteur,
Pour qu'on pût refuser ; on donnait de bon cœur.
Il faisait chaque jour une abondante quête ;
Les femmes se montraient encor
Plus charitables que les hommes,
Et de ce mendiant grossissaient le trésor.
Il avait amassé déjà de fortes sommes,
Quand il tomba malade ; à l'un de ses enfants,
Garçon de treize à quatorze ans,
Un jour il confia la précieuse glace,
Et le chargea de quêter à sa place.
Mais, au déclin du jour, le fils,
Sans avoir étrenné, regagna le logis :
Tu m'auras volé, je suppose, »
Dit en courroux le maître gueux.
- Non, mon père, » reprit le petit malheureux,
Naïvement je vous dirai la chose :
Sur notre merveilleux miroir,
Confié par vous à ma garde,
J'ai jeté ce matin un coup d'œil, par mégarde,
Et je m'y suis trouvé si beau que, jusqu'au soir,
Malgré moi, j'ai passé tout le temps à m'y voir. »
- Alors, tu n'es qu'un imbécile, »
Reprit le père avec mépris.
À ce métier qu'as-tu gagné, mon fils ?
Tu n'en es pas plus beau. Parfois, un homme habile
A flatter son prochain, s'il sait s'y prendre bien,
Peut trouver un profit extrême ;
Mais on ne gagne jamais rien,
Retiens-le bien, à se flatter soi-même. »

Livre I, fable 7




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