Le Lion et le Mendiant Charles Desains (1789 - 1862)

Un énorme Lion sur un troupeau s'élance :
La terreur et la mort planent à ses côtés,
Les moutons expirants, l'un sur l'autre jetés,
De sa dent criminelle attestent la puissance ;
Et lorsqu'autour de lui tout est sans existence,
Il traîne sa richesse au fond d'une forêt,
Asile ténébreux d'un sauvage silence.
Là, l'horreur de son crime à ses yeux apparaît ;
Le sang qu'il a versé pèse enfin sur son âme.
J'aurais pu, pensait-il, encourir moins de blâme
En ménageant un peu ces pauvres animaux.
J'avais peu d'appétit ; ma rage impitoyable
A commis seule un crime irréparable ;
Et maintenant, privé d'un vertueux repos,
Je sens que le remords est le plus grand des maux.
A peine il achevait, que dans la clairière,
Que le zéphir ouvre en fuyant,
Il voit passer un Mendiant
Au teint hâve et terreux, affamé, pauvre hère,
Vrai favori de la misère,
Dont l'œil semblait chercher de quoi faire un repas.
Ami, dit le Lion, ne vous effrayez pas,
Je n'en veux point à votre vie ;
Au contraire, en ce jour, c'est moi qui vous convie
A prendre votre part du butin que voici ;
Emportez-en beaucoup, sans avoir de souci :
Puissent vos chers enfants et votre ménagère
Voiler un moment leurs chagrins
Pour se réconforter d'un peu de bonne chère
Partagée avec vos voisins.
Et si ces bonnes gens, à l'aspect de l'aubaine,
Paraissent désireux d'en obtenir autant,
Montrez-leur ces moutons, que chacun d'eux en prenne,
J'en lève ici la patte, il s'en ira vivant ;
Allez. L'on pense bien que l'homme à la besace
Accepta l'invitation,
Trouvant ainsi près d'un Lion
Plus de soulagement que chez sa propre race.
Il disait, en gagnant son habitation :
Contre l'or mal acquis l'on serait sans rancune,
Si tout homme enrichi par d'odieux succès
Voulait, à force de bienfaits,
Se faire pardonner son injuste fortune.

Livre I, fable 14




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