Le Cheval et le Bœuf Éliphas Lévi (1810 - 1875)

La tête basse et les naseaux fumants,
Promenant sur le sol ses longs regards dormants,
Avançant pas à pas, et l’échine tendue,
Un bœuf tirait une charrue.
Arrive un cheval qui bondit,
Mord son frein, dresse sa crinière,
Eparpille au loin la poussière,
Regarde le bœuf et lui dit :
- Assez de travail et de peine,
Assez de joug, assez de chaîne,
Le clairon sonne, éveille-toi ;
N’es-tu pas aussi fort que moi ?
Sors de la terre humide et noire,
Viens au combat, songe à la gloire ;
Sois fier, sois libre, sois léger !…
Mais le bœuf, sans se déranger
Lui répond d’une voix paisible :
- Je crois, mon cher concitoyen,
Que tu me parles pour mon bien ;
Je n’ai ni ta croupe flexible,
Ni tes jarrets toujours dispos ;
Les cavaliers craindraient les angles de mes os ;
Epouvanté par la trompette,
Je ferais des coups de ma tête ;
Je comprends mon vieux joug mieux qu’un harnais tout neuf ;
Nous irions ensemble à la guerre,
Toi, tu te tirerais d’affaire ;
Moi, je serais toujours le bœuf.

Tribuns, artisans de discorde,
Phraseurs, gens de sac et de corde,
Qui promettez au travailleur
De rendre son destin meilleur,
Vos mensonges et vos colères
Ne feront pas que l’ignorant
Sans études soit un savant,
Ni que les enfants soient des pères.
Dieu créa divers animaux,
Il fit des bœufs et des chevaux.
Je comprends le cheval qui rue
Contre le joug et la charrue,
Mais un bœuf faisant le cheval
Serait un bien sot animal.

Livre I, fable 6


Symbole 6 :

Dans le symbolisme hiéroglyphique, le cheval représente l’enthousiasme poétique, surtout lorsqu’on lui donne des ailes.

Il représente aussi la guerre parce qu’il porte l’homme au combat.

Le bœuf au contraire représente la terre et le travail ; il est aussi le symbole de la résignation et du sacrifice.

Le cheval représente aussi les orages de la mer, et c’est pour cela qu’on le fait sortir de la terre sous un coup de trident de Neptune.

Parce que les tempêtes marines sont la guerre des flots et la grande poésie de l’Océan dont elles exaltent les sombres beautés jusqu’à l’enthousiasme et jusqu’au délire.

La guerre est l’ennemie du travail et surtout du labourage représenté par le bœuf. Le cheval et le bœuf sont les deux forces équilibrées du progrès, l’une rapide et révolutionnaire, l’autre lente et laborieuse.

Dans le domaine de l’idée, les génies hardis et aventureux qui devinent l’avenir sont opposés à ces esprits pratiques et prudents qui creusent pas à pas le sillon de la science officielle.

Dans l’ordre politique, le cheval impétueux c’est le révolutionnaire, et le bœuf tardif mais utile c’est le conservateur.

Or, le cheval fougueux n’est pas plus fait pour la charrue que le bœuf n’est fait pour la guerre. Il faut monter sur le cheval pour conquérir des campagnes nouvelles et réserver le bœuf pour les labourer.


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