Jupiter, pensant aux humains
Donner bonne législature,
Leur voulut mettre entre les mains
Le livre de dame Nature.
Par Mercure il le dépêcha ;
Le courrier ses ailes cacha
Pour n'effrayer l'humaine engeance,
Puis vint parmi les justiciers,
Les Perrin-Dandin, les huissiers
Et les pourvoyeurs de potence.
- Voyez, leur dit-il, et lisez.
Voici mes gens scandalisés.
- Quel est cet indécent ouvrage ?
À la morale il fait outrage.
Messager, vous serez pendu !
Voilà Mercure confondu.
Il dit alors : -Laissez-moi vivre
(Car sous ombre d'humanité
Il cachait sa divinité),
Messieurs, et rendez-moi mon livre.
- Non, dirent les gens du palais,
Nous le confisquons pour les frais ;
Mais en son lieu prends notre code,
Plein de raisons à notre mode.
Mercure le prend, il fend l'air,
Et retourne vers Jupiter
Pour lui conter toute l'histoire.
Or Jupin, qui sortait de boire,
Ne veut être ennuyé du cas,
Et dit, pour finir l'aventure,
Qu'on rende à madame Nature
Le beau livre des avocats.
Depuis lors entre ciel et terre
S'émeut un affreux quiproquo ;
Nature et loi se font la guerre
Et tout demeure en statu quo,
Car la vieille législature,
Lisant le livre de Nature
Tout à rebours, n'y conçoit rien.
Et quand Nature veut apprendre
Loi des humains et la comprendre,
Elle en donne sa langue au chien.
Symbole 6 :
Cette fable est imitée du Cynibalum mundi, de Bonaventure Desperriers.
Nous professons le plus profond respect pour la justice humaine. Mais nous croyons qu’elle serait plus grande encore et plus respectable, si elle tenait compte des faiblesses humaines et si elle ne s’attribuait pas une infaillibilité que l’homme ne saurait avoir.
La conséquence de cette infaillibilité c’est la persistance dans une erreur même reconnue, comme dans la trop célèbre affaire Lesurques.
D’autres fois, tout en agissant probablement avec une profonde sagesse, elle reste incompréhensible. Par exemple, on doute de la culpabilité d’une femme qui est, si elle a commis un crime, un monstre de perversité, et l’on admet en sa faveur des circonstances atténuantes !
Mais si cette femme n’a pas été coupable, c’est une martyre, et il n’y a pas de circonstances atténuantes en faveur de ceux qui l’ont condamnée.
A-t-on jamais prononcé juridiquement la réhabilitation de Savonarole, de Charles Ier, de Louis XVI ?
Existe-t-il un tribunal compétent qui puisse imposer aux Juifs la réhabilitation de Jésus-Christ ?
Pendant la révolution, les victimes et les bourreaux se rencontraient sous la hache ; le sang des justes se mêlait à celui des coupables, et c’était à Dieu de reconnaître les siens.
La justice humaine ne porte pas à tort un bandeau et c’est ce qui lui donne raison quand elle se trompe ; puis, comme il est admis dans la pratique qu’elle ne doit pas se tromper, elle a raison encore de se laver les mains après avoir crucifié les trois malfaiteurs dont l’un a prétendu qu’il était le roi des Juifs.
Celui qui disait en mourant : Père, pardonnez-leur ; car ils ne savent ce qu’ils font !