Ulysse et la Mer Éliphas Lévi (1810 - 1875)

La mer s'aplanissait murmurante et paisible,
Les nuages du soir, par le vent déchirés,
Suspendaient au couchant sur leurs sommets dorés
Les dernières splendeurs du soleil invisible.
Le manteau de Thétis, rayé de pourpre et d'or,
Offrait l'immensité pour base au ciel immense.
Sur la terre et sur l'eau descendait le silence,
Et la plage en dormant semblait gronder encor.
Seul et sans vêtements, souillé par la marine,
Brisé, mais plus puissant que la haine divine,
Ulysse était debout sur des rochers affreux,
Et les astres du soir le montraient à Neptune,
En disant : Le génie est admirable aux dieux
Lorsqu'il sort du malheur pour créer la fortune !

Livre II, fable 10


Symbole 10 :

Les poèmes symboliques d’Homère sont la grande épopée de l’humanité, de ses luttes et de son initiation par la victoire sur les éléments. L’Iliade est la jeunesse de l’homme. Ce sont les passions indomptables, ce sont les croyances rivales, ce sont les dieux qui s’entre-détruisent.
C’est Agamemnon, l’orgueil ; Achille, la colère ; Thersite, l’envie, du côté des Grec, et du côté des Troyens, Hélène la luxure ; Pâris, la lâcheté ou la paresse. Dans ce conflit des forces fatales Troie succombe, mais ses vainqueurs doivent périr. Ulysse seul, c’est-à-dire la prudence unie au courage persévérant, triomphera de toutes les passions et de tous les orages.
L’Odyssée, c’est la virilité humaine, c’est l’initiation de l’homme qui se crée lui-même par une suite non interrompue de sacrifices et d’efforts. Ulysse triomphe des Cyclopes, de Calypso et de Circé, mais il perd successivement ses compagnons, ses richesses, ses vaisseaux, ses vêtements même, et il arrive seul et nu dans l’île des Phéaciens.
Les Phéaciens représentent les sages. Le roi Ulysse arrive chez eux dépouillé de tout, comme l’enfant nouveau-né entre dans la vie. C’est par son mérite seul qu’il se fera connaître et qu’il saura conquérir et garder sa place à la table du roi Aleinoüs. Ulysse n’est jamais plus grand qu’à ce moment où, ayant tout perdu, il sort de la mer plein de foi en son propre courage et désespérant moins que jamais de revoir sa patrie et de remonter sur le trône de Laerte. Que lui manque-t-il en effet pour réussir ? il sait, il veut, il ose et il se taira.
Il n’a plus rien, c’est le moment de tout faire : il porte avec lui ses dieux, sa patrie et sa fortune. Il est plus constant que le sort, plus grand que le malheur, plus fort que la tempête et d’une magnanimité plus immense que la mer.
Que pourrait-il craindre ? Il porte en lui la Providence et le hasard lui obéira.


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