Debout sur son rocher, un aigle, tout pensif,
Contemplait gravement le spectacle sublime
Des rochers et des monts entassés dans l'abime.
Et la mer où baignait le pied de son récif.
Le soleil, grandissant au milieu du silence,
Élevait son flambeau sur l'horizon immense.
Aucun bruit ne troublait ce moment solennel,
Et l'on sentait partout l'Infini, l'Éternel.
Dieu sait à quoi rêvait notre aigle solitaire,
Accroupi sur son roc, et le bec recourbé.
Devant cette nature, insondable mystère,
Comme le sphinx antique, il semblait absorbé.
Tout à coup, déployant ses ailes colossales,
il fit entendre un cri : « L'Univers est à moi !
0 plaines, ô forêts, vous êtes mes vassales !
La terre et l'océan se courbent sous ma loi,
Les étailes, la nuit, me font une couronne
Plus haute que ces monts aux pointes de granit.
Et le jour, en naissant, de pourpre m'environne
Sur les âpres sommets où j'ai bâti mon nid ;
Mon vol n'a pas d'égal ; à travers la tempête
Et l'ouragan sauvage ; on me voit fendre l'air ;
La foudre me connaît, j'ose lui tenir tête,
Mon regard, à ses coups, rend éclair pour éclair ;
La force, le génie, et tout ce qu'on adore,
L'audace, le coup d'œil, et ma grifse d'airain,
Mes vices, mes vertus, la faim qui me dévore,
Des êtres asservis me font le souverain.
Parmi les légions, emblème de la gloire,
Du haut des étendards j'ordonne la victoire,
Et mon cri de bataille enfante les héros
Dont le nom retentit à travers les échos.
Allons, fuyez, hérons, c'est l'heure de la chasse,
Gelinottes, faisans, cygnes mélodieux,
Votre maître se lève, il dévore l'espace :
Me voici, je reprends possession des cieux. »
Comme l'aigle parlait, planant sur un nuage,
L'ornithomyze affreux rampait sous son plumage,
Et l'insecte, riant de son féroce orgueil,
Lui faisait de ce monde un immense cercueil.
Sa chute fut terrible. Au fond du précipice,
Tournoyant, il gémit, car, indicible horreur,
L'insecte, en le narguant lui dévorait le cœur.
Et la fin du tyran ne fut qu'un long supplice ;
La larve s'en reput, et ceci nous apprend
Que la gloire est un mot et que Dieu seul est grand.
Dieu, l'idéal de la justice,
Que le droit prime la force.

Livre III, fable 23




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